Postéle 25/02/2022 par Astresses Pascal Amoureux de la langue française, vous n'avez pas pu être présents lors de la dictée de Saint-Maur l'an dernier ? Nous vous proposons une séance de rattrapage et de mettre votre orthographe à l'épreuve avec la dictée en podcast. Commentaire : 0 . Copier le lien - - - + Posté le 16/02/2022 par Simon Hervé
Cela signifie, dans l’ordre tristesse le matin, parce que si l’on voit travailler une araignée, cela sous-entend qu’aucune rosée ne la gêne ; et qui dit absence de rosée, dit pluie à venir. Préoccupation à midi, parce que si l’araignée tisse sa toile au milieu de la journée, cela implique que la pluie se prépare et qu’il faut donc se dépêcher ; et espoir le soir parce qu’une araignée qui se balade tranquillement au crépuscule est détendue et donc que le beau temps devrait persister. Si la fileuse se met au travail dès le matin, cela signifie qu'elle doit le faire sans défaillance pour subvenir à ses besoins de tous les jours ; si elle s'y met en milieu de journée, la nécessité est moindre et le soir, c'est que la situation est meilleure et qu'elle peut travailler pour son trousseau ou pour son plaisir. L'expression se décline également en disant pour la deuxième partie araignée du tantôt, cadeau » Référence nécessaire. Translation Find a translation for the araignée du matin, chagrin, araignée du midi, souci, araignée du soir, espoir phrase in other languages morning spider, sorrow, spider of the south, marigold, evening spider, hope Select another language - Select - 简体中文 Chinese - Simplified 繁體中文 Chinese - Traditional Español Spanish Esperanto Esperanto 日本語 Japanese Português Portuguese Deutsch German العربية Arabic Français French Русский Russian ಕನ್ನಡ Kannada 한국어 Korean עברית Hebrew Gaeilge Irish Українська Ukrainian اردو Urdu Magyar Hungarian मानक हिन्दी Hindi Indonesia Indonesian Italiano Italian தமிழ் Tamil Türkçe Turkish తెలుగు Telugu ภาษาไทย Thai Tiếng Việt Vietnamese Čeština Czech Polski Polish Bahasa Indonesia Indonesian Românește Romanian Nederlands Dutch Ελληνικά Greek Latinum Latin Svenska Swedish Dansk Danish Suomi Finnish فارسی Persian ייִדיש Yiddish հայերեն Armenian Norsk Norwegian English English Nearby phrases Some more phrases from our dictionary similar to araignée du matin, chagrin, araignée du midi, souci, araignée du soir, espoir Citation Use the citation below to add this araignée du matin, chagrin, araignée du midi, souci, araignée du soir, espoir definition to your bibliography We need you! Help us build the largest human-edited phrases collection on the web! Quiz Are you a phrases master? » In for a penny, in for a _______. A. game B. beer C. pound D. cent Browse
Commesur la mer Le voilier qui danse, Elle se balance Dans un courant d’air. L’araignée du soir Rêve de voyages, Loin de son grillage, En pays d’espoir Le temps d’une nuit, Petite acrobate, L’araignée oublie Son fil à la patte. » Antoine Bial. 50x50cm Toile d’araignée, Vendu (Galerie Les Clins d’oeil de Dame Nature)
Michel de MONTAIGNE LES ESSAIS - Livre III Version HTML d'après l'édition de 1595 Table des matières du livre III Chapitre I De l'utile et de l'honeste Chapitre II Du repentir Chapitre III De trois commerces Chapitre IV De la diversion Chapitre V Sur des vers de Virgile Chapitre VI Des coches Chapitre VII De l'incommodité de la grandeur Chapitre VIII De l'art de conferer Chapitre IX De la vanité Chapitre X De mesnager sa volonté Chapitre XI Des boyteux Chapitre XII De la physionomie Chapitre XIII De l'experience Table des matières Chapitre précédent Chapitre suivant CHAPITRE I De l'utile et de l'honeste PERSONNE n'est exempt de dire des fadaises le malheur est, de les dire curieusement Næ iste magno conatu magnas nugas dixerit. Cela ne me touche pas ; les miennes m'eschappent aussi nonchallamment qu'elles le valent D'où bien leur prend Je les quitterois soudain, à peu de coust qu'il y eust Et ne les achette, ny ne les vends, que ce qu'elles poisent Je parle au papier, comme je parle au premier que je rencontre Qu'il soit vray, voicy dequoy. A qui ne doit estre la perfidie detestable, puis que Tybere la refusa à si grand interest ? On luy manda d'Allemaigne, que s'il le trouvoit bon, on le defferoit d'Ariminius par poison. C'estoit le plus puissant ennemy que les Romains eussent, qui les avoit si vilainement traictez soubs Varus, et qui seul empeschoit l'accroissement de sa domination en ces contrees là . Il fit responce, que le peuple Romain avoit accoustumé de se venger de ses ennemis par voye ouverte, les armes en main, non par fraude et en cachette il quitta l'utile pour l'honeste. C'estoit me direz vous un affronteur. Je le croy ce n'est pas grand miracle, à gens de sa profession. Mais la confession de la vertu, ne porte pas moins en la bouche de celuy qui la hayt d'autant que la verité la luy arrache par force, et que s'il ne la veult recevoir en soy, aumoins il s'en couvre, pour s'en parer. Nostre bastiment et public et privé, est plein d'imperfection mais il n'y a rien d'inutile en nature, non pas l'inutilité mesmes, rien ne s'est ingeré en cet univers, qui n'y tienne place opportune. Nostre estre est simenté de qualitez maladives l'ambition, la jalousie, l'envie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d'une si naturelle possession, que l'image s'en recognoist aussi aux bestes Voire et la cruauté, vice si desnaturé car au milieu de la compassion, nous sentons au dedans, je ne sçay quelle aigre-douce poincte de volupté maligne, à voir souffrir autruy et les enfans la sentent Suave mari magno turbantibus æquora ventis, E terra magnum alterius spectare laborem. Desquelles qualitez, qui osteroit les semences en l'homme, destruiroit les fondamentales conditions de nostre vie De mesme, en toute police il y a des offices necessaires, non seulement abjects, mais encores vicieux Les vices y trouvent leur rang, et s'employent à la cousture de nostre liaison comme les venins à la conservation de nostre santé. S'ils deviennent excusables, d'autant qu'ils nous font besoing, et que la necessité commune efface leur vraye qualité il faut laisser jouer cette partie, aux citoyens plus vigoureux, et moins craintifs, qui sacrifient leur honneur et leur conscience, comme ces autres anciens sacrifierent leur vie, pour le salut de leur pays Nous autres plus foibles prenons des rolles et plus aysez et moins hazardeux Le bien public requiert qu'on trahisse, et qu'on mente, et qu'on massacre resignons cette commission à gens plus obeissans et plus soupples. Certes j'ay eu souvent despit, de voir des juges, attirer par fraude et fauces esperances de faveur ou pardon, le criminel à descouvrir son fait, et y employer la piperie et l'impudence Il serviroit bien à la justice, et à Platon mesme, qui favorise cet usage, de me fournir d'autres moyens plus selon moy. C'est une justice malicieuse et ne l'estime pas moins blessee par soy-mesme, que par autruy. Je respondy, n'y a pas long temps, qu'à peine trahirois-je le Prince pour un particulier, qui serois tres-marry de trahir aucun particulier, pour le Prince Et ne hay pas seulement à piper, mais je hay aussi qu'on se pipe en moy je n'y veux pas seulement fournir de matiere et d'occasion. En ce peu que j'ay eu à negocier entre nos Princes, en ces divisions, et subdivisions, qui nous deschirent aujourd'huy j'ay curieusement evité, qu'ils se mesprinssent en moy, et s'enferrassent en mon masque. Les gens du mestier se tiennent les plus couverts, et se presentent et contrefont les plus moyens, et les plus voysins qu'ils peuvent moy, je m'offre par mes opinions les plus vives, et par la forme plus mienne Tendre negotiateur et novice qui ayme mieux faillir à l'affaire, qu'à moy. C'a esté pourtant jusques à cette heure, avec tel heur, car certes fortune y a la principalle part que peu ont passé demain à autre, avec moins de soupçon, plus de faveur et de privauté. J'ay une façon ouverte, aisee à s'insinuer, et à se donner credit, aux premieres accointances. La naifveté et la verité pure, en quelque siecle que ce soit, trouvent encore leur opportunité et leur mise. Et puis de ceux-là est la liberté peu suspecte, et peu odieuse, qui besongnent sans aucun leur interest Et peuvent veritablement employer la responce de Hipperides aux Atheniens, se plaignans de l'aspreté de son parler Messieurs, ne considerez pas si je suis libre, mais si je le suis, sans rien prendre, et sans amender par là mes affaires. Ma liberté m'a aussi aiséement deschargé du soupçon de faintise, par sa vigueur n'espargnant rien à dire pour poisant et cuisant qu'il fust je n'eusse peu dire pis absent et en ce, qu'elle a une montre apparente de simplesse et de nonchalance Je ne pretens autre fruict en agissant, que d'agir, et n'y attache longues suittes et propositions Chasque action fait particulierement son jeu porte s'il peut. Au demeurant, je ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou amoureuse, envers les grands ny n'ay ma volonté garrotee d'offence, ou d'obligation particuliere. Je regarde nos Roys d'une affection simplement legitime et civile, ny emeuà ny demeuà par interest privé, dequoy je me sçay bon gré. La cause generale et juste ne m'attache non plus, que moderément et sans fiévre. Je ne suis pas subjet à ces hypoteques et engagemens penetrans et intimes La colere et la hayne sont au delà du devoir de la justice et sont passions servans seulement à ceux, qui ne tiennent pas assez à leur devoir, par la raison simple Utatur motu animi, qui uti ratione non potest. Toutes intentions legitimes sont d'elles mesmes temperees sinon, elles s'alterent en seditieuses et illegitimes. C'est ce qui me faict marcher par tout, la teste haute, le visage, et le coeur ouvert. A la verité, et ne crains point de l'advouer, je porterois facilement au besoing, une chandelle à Sainct Michel, l'autre à son serpent, suivant le dessein de la vieille Je suivray le bon party jusques au feu, mais exclusivement si je puis Que Montaigne s'engouffre quant et la ruyne publique, si besoing est mais s'il n'est pas besoing, je sçauray bon gré à la fortune qu'il se sauve et autant que mon devoir me donne de corde, je l'employe à sa conservation. Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au juste party, et au party qui perdit, se sauva par sa moderation, en cet universel naufrage du monde, parmy tant de mutations et diversitez ? Aux hommes, comme luy privez, il est plus aisé Et en telle sorte de besongne, je trouve qu'on peut justement n'estre pas ambitieux à s'ingerer et convier soy-mesmes De se tenir chancelant et mestis, de tenir son affection immobile, et sans inclination aux troubles de son pays, et en une division publique, je ne le trouve ny beau, ny honneste Ea non media, sed nulla via est, velut eventum expectantium, quo fortunæ consilia sua applicent. Cela peut estre permis envers les affaires des voysins et Gelon tyran de Syracuse, suspendoit ainsi son inclination en la guerre des Barbares contre les Grecs ; tenant une Ambassade à Delphes, avec des presents pour estre en eschauguette, à veoir de quel costé tomberoit la fortune, et prendre l'occasion à poinct, pour le concilier aux victorieux. Ce seroit une espece de trahison, de le faire aux propres et domestiques affaires, ausquels necessairement il faut prendre party mais de ne s'embesongner point, à homme qui n'a ny charge, ny commandement exprez qui le presse, je le trouve plus excusable et si ne practique pour moy cette excuse qu'aux guerres estrangeres desquelles pourtant, selon nos loix, ne s'empesche qui ne veut. Toutesfois ceux encore qui s'y engagent tout à faict, le peuvent, avec tel ordre et attrempance, que l'orage debvra couler par dessus leur teste, sans offence. N'avions nous pas raison de l'esperer ainsi du feu Evesque d'Orleans, sieur de Morvilliers ? Et j'en cognois entre ceux qui y ouvrent valeureusement à cette heure, de moeurs ou si equables, ou si douces, qu'ils seront, pour demeurer debout, quelque injurieuse mutation et cheute que le ciel nous appreste. Je tiens que c'est aux Roys proprement, de s'animer contre les Roys et me moque de ces esprits, qui de gayeté de coeur se presentent à querelles si disproportionnees Car on ne prend pas querelle particuliere avec un prince, pour marcher contre luy ouvertement et courageusement, pour son honneur, et selon son devoir s'il n'aime un tel personnage, il fait mieux, il l'estime. Et notamment la cause des loix, et defence de l'ancien estat, a tousjours cela, que ceux mesmes qui pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les defenseurs, s'ils ne les honorent. Mais il ne faut pas appeller devoir, comme nous faisons tous les jours, une aigreur et une intestine aspreté, qui naist de l'interest et passion privee, ny courage, une conduitte traistresse et malitieuse. Ils nomment zele, leur propension vers la malignité, et violence Ce n'est pas la cause qui les eschauffe, c'est leur interest Ils attisent la guerre, non par ce qu'elle est juste, mais par ce que c'est guerre. Rien n'empesche qu'on ne se puisse comporter commodément entre des hommes qui se sont ennemis, et loyalement conduisez vous y d'une, sinon par tout esgale affection car elle peut souffrir differentes mesures au moins temperee, et qui ne vous engage tant à l'un, qu'il puisse tout requerir de vous Et vous contentez aussi d'une moienne mesure de leur grace et de couler en eau trouble, sans y vouloir pescher. L'autre maniere de s'offrir de toute sa force aux uns et aux autres, a encore moins de prudence que de conscience. Celuy envers qui vous en trahissez un, duquel vous estes pareillement bien venu sçait-il pas, que de soy vous en faites autant à son tour ? Il vous tient pour un meschant homme ce pendant il vous oit, et tire de vous, et fait ses affaires de vostre desloyauté Car les hommes doubles sont utiles, en ce qu'ils apportent mais il se faut garder, qu'ils n'emportent que le moins qu'on peut. Je ne dis rien à l'un, que je ne puisse dire à l'autre, à son heure, l'accent seulement un peu changé et ne rapporte que les choses ou indifferentes, ou cogneuÃs, ou qui servent en commun. Il n'y a point d'utilité, pour laquelle je me permette de leur mentir. Ce qui a esté fié à mon silence, je le cele religieusement mais je prens à celer le moins que je puis C'est une importune garde, du secret des Princes, à qui n'en a que faire. Je presente volontiers ce marché, qu'ils me fient peu mais qu'ils se fient hardiment, de ce que je leur apporte J'en ay tousjours plus sceu que je n'ay voulu. Un parler ouvert, ouvre un autre parler, et le tire hors, comme fait le vin et l'amour. Philippides respondit sagement à mon gré, au Roy Lysimachus, qui luy disoit, Que veux-tu que je te communique de mes biens ? Ce que tu voudras, pourveu que ce ne soit de tes secrets. Je voy que chacun se mutine, si on luy cache le fonds des affaires ausquels on l'employe, et si on luy en a desrobé quelque arriere-sens Pour moy, je suis content qu'on ne m'en die non plus, qu'on veut que j'en mette en besoigne et ne desire pas, que ma science outrepasse et contraigne ma parole. Si je dois servir d'instrument de tromperie, que ce soit aumoins sauve ma conscience. Je ne veux estre tenu serviteur, ny si affectionné, ny si loyal, qu'on me treuve bon à trahir personne. Qui est infidelle à soy-mesme, l'est excusablement à son maistre. Mais ce sont Princes, qui n'acceptent pas les hommes à moytié, et mesprisent les services limitez et conditionnez. Il n'y a remede je leur dis franchement mes bornes car esclave, je ne le doibs estre que de la raison, encore n'en puis-je bien venir à bout. Et eux aussi ont tort, d'exiger d'un homme libre, telle subjection à leur service, et telle obligation, que de celuy, qu'ils ont faict et achetté ou duquel la fortune tient particulierement et expressement à la leur. Les loix m'ont osté de grand peine, elles m'ont choisi party, et donné un maistre toute autre superiorité et obligation doibt estre relative à celle-là , et retranchee. Si n'est-ce pas à dire, quand mon affection me porteroit autrement, qu'incontinent j'y portasse la main la volonté et les desirs se font loy eux mesmes, les actions ont à la recevoir de l'ordonnance publique. Tout ce mien proceder, est un peu bien dissonant à nos formes ce ne seroit pas pour produire grands effets, ny pour y durer l'innocence mesme ne sçauroit à cette heure ny negotier sans dissimulation, ny marchander sans menterie. Aussi ne sont aucunement de mon gibier, les occupations publiques ce que ma profession en requiert, je l'y fournis, en la forme que je puis la plus privee. Enfant, on m'y plongea jusques aux oreilles, et il succedoit si m'en desprins je de belle heure. J'ay souvent dépuis évité de m'en mesler, rarement accepté, jamais requis, tenant le dos tourné à l'ambition mais sinon comme les tireurs d'aviron, qui s'avancent ainsin à reculons tellement toutesfois, que de ne m'y estre poinct embarqué, j'en suis moins obligé à ma resolution, qu'à ma bonne fortune. Car il y a des voyes moins ennemyes de mon goust, et plus conformes à ma portee, par lesquelles si elle m'eust appellé autrefois au service public, et à mon avancement vers le credit du monde, je sçay que j'eusse passé par dessus la raison de mes discours, pour la suyvre. Ceux qui disent communement contre ma profession, que ce que j'appelle franchise, simplesse, et naifveté, en mes moeurs, c'est art et finesse et plustost prudence, que bonté industrie, que nature bon sens, que bon heur me font plus d'honneur qu'ils ne m'en ostent. Mais certes ils font ma finesse trop fine. Et qui m'aura suyvi et espié de pres, je luy donray gaigné, s'il ne confesse, qu'il n'y a point de regle en leur escole, qui sçeust rapporter ce naturel mouvement, et maintenir une apparence de liberté, et de licence, si pareille, et inflexible, parmy des routes si tortues et diverses et que toute leur attention et engin, ne les y sçauroit conduire. La voye de la verité est une et simple, celle du profit particulier, et de la commodité des affaires, qu'on a en charge, double, inegale, et fortuite. J'ay veu souvent en usage, ces libertez contrefaites, et artificielles, mais le plus souvent, sans succez. Elles sentent volontiers leur asne d'Esope lequel par emulation du chien, vint à se jetter tout gayement, à deux pieds, sur les espaules de son maistre mais autant que le chien recevoit de caresses, de pareille feste, le pauvre asne, en reçeut deux fois autant de bastonnades. Id maximè quemque decet, quod est cujusque suum maximè. Je ne veux pas priver la tromperie de son rang, ce seroit mal entendre le monde je sçay qu'elle a servy souvent profitablement, et qu'elle maintient et nourrit la plus part des vacations des hommes. Il y a des vices legitimes, comme plusieurs actions, ou bonnes, ou excusables, illegitimes. La justice en soy, naturelle et universelle, est autrement reglee, et plus noblement, que n'est cette autre justice speciale, nationale, contrainte au besoing de nos polices Veri juris germanæque justitiæ solidam et expressam effigiem nullam tenemus umbra et imaginibus utimur. Si que le sage Dandamys, oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras, Diogenes, les jugea grands personnages en toute autre chose, mais trop asservis à la reverence des loix Pour lesquelles auctoriser, et seconder, la vraye vertu a beaucoup à se desmettre de sa vigueur originelle et non seulement par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu, mais encores à leur suasion. Ex Senatusconsultis plebisque scitis scelera exercentur. Je suy le langage commun, qui fait difference entre les choses utiles, et les honnestes si que d'aucunes actions naturelles, non seulement utiles, mais necessaires, il les nomme deshonnestes et sales. Mais continuons nostre exemple de la trahison Deux pretendans au royaume de Thrace, estoient tombez en debat de leurs droicts, l'Empereur les empescha de venir aux armes mais l'un d'eux, sous couleur de conduire un accord amiable, par leur entreveuÃ, ayant assigné son compagnon, pour le festoyer en sa maison, le fit emprisonner et tuer. La justice requeroit, que les Romains eussent raison de ce forfaict la difficulté en empeschoit les voyes ordinaires. Ce qu'ils ne peurent legitimement, sans guerre, et sans hazard, ils entreprindrent de le faire par trahison ce qu'ils ne peurent honnestement, ils le firent utilement. A quoy se trouva propre un Pomponius Flaccus Cettuy-cy, soubs feintes parolles, et asseurances, ayant attiré cest homme dans ses rets au lieu de l'honneur et faveur qu'il luy promettoit, l'envoya pieds et poings liez à Romme. Un traistre y trahit l'autre, contre l'usage commun Car ils sont pleins de deffiance, et est mal-aisé de les surprendre par leur art tesmoing la poisante experience, que nous venons d'en sentir. Sera Pomponius Flaccus qui voudra, et en est assez qui le voudront Quant à moy, et ma parolle et ma foy, sont, comme le demeurant, pieces de ce commun corps le meilleur effect, c'est le service public je tiens cela pour presupposé. Mais comme si on me commandoit, que je prinse la charge du Palais, et des plaids, je respondroy, Je n'y entens rien ou la charge de conducteur de pionniers, je diroy, Je suis appellé á un rolle plus digne de mesmes, qui me voudroit employer, à mentir, à trahir, et à me parjurer, pour quelque service notable, non que d'assassiner ou empoisonner je diroy, Si j'ay volé ou desrobé quelqu'un, envoyez moy plustost en gallere. Car il est loysible à un homme d'honneur, de parler ainsi que firent les Lacedemoniens, ayants esté deffaicts par Antipater, sur le poinct de leurs accords Vous nous pouvez commander des charges poisantes et dommageables, autant qu'il vous plaira mais de honteuses, et des-honnestes, vous perdrez vostre temps de nous en commander. Chacun doit avoir juré à soy mesme, ce que les Roys d'Ægypte faisoient solennellement jurer à leurs juges, qu'ils ne se desvoyeroient de leur conscience, pour quelque commandement qu'eux mesmes leur en fissent. A telles commissions il y a note evidente d'ignominie, et de condemnation. Et qui vous la donne, vous accuse, et vous la donne, si vous l'entendez bien, en charge et en peine. Autant que les affaires publiques s'amendent de vostre exploict, autant s'en empirent les vostres vous y faictes d'autant pis, que mieux vous y faictes. Et ne sera pas nouveau, ny à l'avanture sans quelque air de Justice, que celuy mesmes vous ruïne, qui vous aura mis en besongne. Si la trahison doit estre en quelque cas excusable lors seulement elle l'est, qu'elle s'employe à chastier et trahir la trahison. Il se trouve assez de perfidies, non seulement refusees, mais punies, par ceux en faveur desquels elles avoient esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fabritius, à l'encontre du Medecin de Pyrrhus ? Mais cecy encore se trouve que tel l'a commandee, qui par apres l'a vengee rigoureusement, sur celuy qu'il y avoit employé refusant un credit et pouvoir si effrené, et desadvouant un servage et une obeïssance si abandonnee, et si lasche. Jaropelc Duc de Russie, practiqua un gentilhomme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Boleslaus, en le faisant mourir, ou donnant aux Russiens moyen de luy faire quelque notable dommage. Cettuy-cy s'y porta en galandhomme s'addonna plus que devant au service de ce Roy, obtint d'estre de son conseil, et de ses plus feaux. Avec ces advantages, et choisissant à point l'opportunité de l'absence de son maistre, il trahit aux Russiens Visilicie, grande et riche cité qui fut entierement saccagee, et arse par eux, avec occision totale, non seulement des habitans d'icelle, de tout sexe et aage, mais de grand nombre de noblesse de là autour, qu'il y avoit assemblé à ces fins. Jaropelc assouvy de sa vengeance, et de son courroux, qui pourtant n'estoit pas sans tiltre, car Boleslaus l'avoit fort offencé, et en pareille conduitte et saoul du fruict de cette trahison, venant à en considerer la laideur nuà et seule, et la regarder d'une veuà saine, et non plus troublee par sa passion, la print à un tel remors, et contre-coeur, qu'il en fit crever les yeux, et couper la langue, et les parties honteuses, à son executeur. Antigonus persuada les soldats Argyraspides, de luy trahir Eumenes, leur capitaine general, son adversaire. Mais l'eut-il faict tuer, apres qu'ils le luy eurent livré, il desira luy mesme estre commissaire de la justice divine, pour le chastiement d'un forfaict si detestable et les consigna entre les mains du gouverneur de la Province, luy donnant tres-expres commandement, de les perdre, et mettre à male fin, en quelque maniere que ce fust. Tellement que de ce grand nombre qu'ils estoient, aucun ne vit onques puis, l'air de Macedoine. Mieux il en avoit esté servy, d'autant le jugea il avoir esté plus meschamment et punissablement. L'esclave qui trahit la cachette de P. Sulpicius son maistre, fut mis en liberté, suivant la promesse de la proscription de Sylla Mais suivant la promesse de la raison publique, tout libre, il fut precipité du roc Tarpeien. Et nostre Roy Clovis, au lieu des armes d'or qu'il leur avoit promis, fit pendre les trois serviteurs de Cannacre, apres qu'ils luy eurent trahy leur maistre, à quoy il les avoit pratiquez. Ils les font pendre avec la bourse de leur payement au col. Ayant satisfaict à leur seconde foy, et speciale, ils satisfont à la generale et premiere. Mahomed second, se voulant deffaire de son frere, pour la jalousie de la domination, suivant le stile de leur race, y employa l'un de ses officiers qui le suffoqua, l'engorgeant de quantité d'eau, prinse trop à coup. Cela faict, il livra, pour l'expiation de ce meurtre, le meurtrier entre les mains de la mere du trespassé car ils n'estoient freres que de pere elle, en sa presence, ouvrit à ce meurtrier l'estomach et tout chaudement de ses mains, fouillant et arrachant son coeur, le jetta manger aux chiens. Et à ceux mesmes qui ne valent rien, il est si doux, ayant tiré l'usage d'une action vicieuse, y pouvoir hormais coudre en toute seureté, quelque traict de bonté, et de justice comme par compensation, et correction conscientieuse. Joint qu'ils regardent les ministres de tels horribles malefices, comme gents, qui les leur reprochent et cherchent par leur mort d'estouffer la cognoissance et tesmoignage de telles menees. Or si par fortune on vous en recompence, pour ne frustrer la necessité publique, de cet extreme et desesperé remede celuy qui le fait, ne laisse pas de vous tenir, s'il ne l'est luy-mesme, pour un homme maudit et execrable Et vous tient plus traistre, que ne faict celuy, contre qui vous l'estes car il touche la malignité de vostre courage, par voz mains, sans desadveu, sans object. Mais il vous employe, tout ainsi qu'on faict les hommes perdus, aux executions de la haute justice charge autant utile, comme elle est peu honneste. Outre la vilité de telles commissions, il y a de la prostitution de conscience. La fille à Sejanus ne pouvant estre punie à mort, en certaine forme de jugement à Rome, d'autant qu'elle estoit Vierge, fut, pour donner passage aux loix, forcee par le bourreau, avant qu'il l'estranglast Non sa main seulement, mais son ame, est esclave à la commodité publique. Quand le premier Amurath, pour aigrir la punition contre ses subjects, qui avoient donné support à la parricide rebellion de son fils, ordonna, que leurs plus proches parents presteroient la main à cette execution je trouve tres-honeste à aucuns d'iceux, d'avoir choisi plustost, d'estre injustement tenus coulpables du parricide d'un autre, que de servir la justice de leur propre parricide. Et où en quelques bicoques forcees de mon temps, j'ay veu des coquins, pour garantir leur vie, accepter de pendre leurs amis et consorts, je les ay tenus de pire condition que les pendus. On dit que Vuitolde Prince de Lituanie, introduisit en cette nation, que le criminel condamné à mort, eust luy mesme de sa main, à se deffaire trouvant estrange, qu'un tiers innocent de la faute, fust employé et chargé d'un homicide. Le Prince, quand une urgente circonstance, et quelque impetueux et inopiné accident, du besoing de son estat, luy fait gauchir sa parolle et sa foy, ou autrement le jette hors de son devoir ordinaire, doibt attribuer cette necessité, à un coup de la verge divine Vice n'est-ce pas, car il a quitté sa raison, à une plus universelle et puissante raison mais certes c'est malheur. De maniere qu'à quelqu'un qui me demandoit Quel remede ? nul remede, fis-je, s'il fut veritablement gehenné entre ces deux extremes sed videat ne quæratur latebra perjurio il le falloit faire mais s'il le fit, sans regret, s'il ne luy greva de le faire, c'est signe que sa conscience est en mauvais termes. Quand il s'en trouveroit quelqu'un de si tendre conscience, à qui nulle guarison ne semblast digne d'un si poisant remede, je ne l'en estimeroy pas moins. Il ne se sçauroit perdre plus excusablement et decemment. Nous ne pouvons pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut-il souvent, comme à la derniere anchre, remettre la protection de nostre vaisseau à la pure conduitte du ciel. A quelle plus juste necessité se reserve il ? Que luy est-il moins possible à faire que ce qu'il ne peut faire, qu'aux despens de sa foy et de son honneur ? choses, qui à l'aventure luy doivent estre plus cheres que son propre salut, et que le salut de son peuple Quand les bras croisez il appellera Dieu simplement à son aide, n'aura-il pas à esperer, que la divine bonté n'est pour refuser la faveur de sa main extraordinaire à une main pure et juste ? Ce sont dangereux exemples, rares, et maladifves exceptions, à nos regles naturelles il y faut ceder, mais avec grande moderation et circonspection. Aucune utilité privee, n'est digne pour laquelle nous façions cest effort à nostre conscience la publique bien, lors qu'elle est et tres-apparente, et tres-importante. Timoleon se garantit à propos, de l'estrangeté de son exploit, par les larmes qu'il rendit, se souvenant que c'estoit d'une main fraternelle qu'il avoit tué le tyran. Et cela pinça justement sa conscience, qu'il eust esté necessité d'achetter l'utilité publique, à tel prix de l'honnesteté de ses moeurs. Le Senat mesme delivré de servitude par son moyen, n'osa rondement decider d'un si haut faict, et deschiré en deux si poisants et contraires visages. Mais les Syracusains ayans tout à point, à l'heure mesme, envoyé requerir les Corinthiens de leur protection, et d'un chef digne de restablir leur ville en sa premiere dignité, et nettoyer la Sicile de plusieurs tyranneaux, qui l'oppressoient il y deputa Timoleon, avec cette nouvelle deffaitte et declaration Que selon qu'il se porteroit bien ou mal en sa charge, leur arrest prendroit party, à la faveur du liberateur de son païs, ou à la desfaveur du meurtrier de son frere. Cette fantastique conclusion, a quelque excuse, sur le danger de l'exemple et importance d'un faict si divers. Et feirent bien, d'en descharger leur jugement, ou de l'appuier ailleurs, et en des considerations tierces. Or les deportements de Timoleon en ce voyage rendirent bien tost sa cause plus claire, tant il s'y porta dignement et vertueusement, en toutes façons. Et le bon heur qui l'accompagna aux aspretez qu'il eut à vaincre en cette noble besongne, sembla luy estre envoyé par les Dieux conspirants et favorables à sa justification. La fin de cettuy cy est excusable, si aucune le pouvoit estre. Mais le profit de l'augmentation du revenu publique, qui servit de pretexte au Senat Romain à cette orde conclusion, que je m'en vay reciter, n'est pas assez fort pour mettre à garand une telle injustice. Certaines citez s'estoient rachetees à prix d'argent, et remises en liberté, avec l'ordonnance et permission du Senat, des mains de L. Sylla. La chose estant tombee en nouveau jugement, le Senat les condamna à estre taillables comme auparavant et que l'argent qu'elles avoyent employé pour se rachetter, demeureroit perdu pour elles. Les guerres civiles produisent souvent ces vilains exemples Que nous punissons les privez, de ce qu'ils nous ont creu, quand nous estions autres. Et un mesme magistrat fait porter la peine de son changement, à qui n'en peut mais. Le maistre foitte son disciple de docilité, et la guide son aveugle Horrible image de justice. Il y a des regles en la philosophie et faulses et molles. L'exemple qu'on nous propose, pour faire prevaloir l'utilité privee, à la foy donnee, ne reçoit pas assez de poids par la circonstance qu'ils y meslent. Des voleurs vous ont prins, ils vous ont remis en liberté, ayans tiré de vous serment du paiement de certaine somme. On a tort de dire, qu'un homme de bien, sera quitte de sa foy, sans payer, estant hors de leurs mains. Il n'en est rien. Ce que la crainte m'a fait une fois vouloir, je suis tenu de le vouloir encore sans crainte. Et quand elle n'aura forcé que ma langue, sans la volonté encore suis je tenu de faire la maille bonne de ma parole. Pour moy, quand par fois ell'a inconsiderément devancé ma pensee, j'ay faict conscience de la desadvoüer pourtant. Autrement de degré en degré, nous viendrons à abolir tout le droit qu'un tiers prend de noz promesses. Quasi vero forti viro vis possit adhiberi. En cecy seulement a loy, l'interest privé, de nous excuser de faillir à nostre promesse, si nous avons promis chose meschante, et inique de soy. Car le droit de la vertu doibt prevaloir le droit de nostre obligation. J'ay autrefois logé Epaminondas au premier rang des hommes excellens et ne m'en desdy pas. Jusques où montoit-il la consideration de son particulier devoir ? qui ne tua jamais homme qu'il eust vaincu qui pour ce bien inestimable, de rendre la liberté à son païs, faisoit conscience de tuer un Tyran, ou ses complices, sans les formes de la justice et qui jugeoit meschant homme, quelque bon Citoyen qu'il fust, celuy qui entre les ennemis, et en la bataille, n'espargnoit son amy et son hoste. Voyla une ame de riche composition. Il marioit aux plus rudes et violentes actions humaines, la bonté et l'humanité, voire la plus delicate, qui se treuve en l'escole de la Philosophie. Ce courage si gros, enflé, et obstiné contre la douleur, la mort, la pauvreté, estoit-ce nature, ou art, qui l'eust attendry, jusques au poinct d'une si extreme douceur, et debonnaireté de complexion ? Horrible de fer et de sang, il va fracassant et rompant une nation invincible contre tout autre, que contre luy seul et gauchit au milieu d'une telle meslee, au rencontre de son hoste et de son amy. Vrayement celuy la proprement commandoit bien à la guerre, qui luy faisoit souffrir le mors de la benignité, sur le point de sa plus forte chaleur ainsin enflammee qu'elle estoit, et toute escumeuse de fureur et de meurtre. C'est miracle, de pouvoir mesler à telles actions quelque image de justice mais il n'appartient qu'à la roideur d'Epaminondas, d'y pouvoir mesler la douceur et la facilité des moeurs les plus molles, et la pure innocence. Et où l'un dit aux Mammertins, que les statuts n'avoient point de mise envers les hommes armez l'autre, au Tribun du peuple, que le temps de la justice, et de la guerre, estoient deux le tiers, que le bruit des armes l'empeschoit d'entendre la voix des loix cettuy-cy n'estoit pas seulement empesché d'entendre celles de la civilité, et pure courtoisie. Avoit-il pas emprunté de ses ennemis, l'usage de sacrifier aux Muses, allant à la guerre, pour destremper par leur douceur et gayeté, cette furie et aspreté martiale ? Ne craignons point apres un si grand precepteur, d'estimer qu'il y a quelque chose illicite contre les ennemys mesmes que l'interest commun ne doibt pas tout requerir de tous, contre l'interest privé manente memoria etiam in dissidio publicorum foederum privati juris et nulla potentia vires Præstandi, ne quid peccet amicus, habet et que toutes choses ne sont pas loisibles à un homme de bien, pour le service de son Roy, ny de la cause generale et des loix. Non enim patria præstat omnibus officiis, Et ipsi conducit pios habere cives in parentes. C'est une instruction propre au temps Nous n'avons que faire de durcir nos courages par ces lames de fer, c'est assez que nos espaules le soyent c'est assez de tramper nos plumes en ancre, sans les tramper en sang. Si c'est grandeur de courage, et l'effect d'une vertu rare et singuliere, de mespriser l'amitié, les obligations privees, sa parolle, et la parenté, pour le bien commun, et obeïssance du Magistrat c'est assez vrayement pour nous en excuser, que c'est une grandeur, qui ne peut loger en la grandeur du courage d'Epaminondas. J'abomine les exhortemens enragez, de cette autre ame desreiglee, dum tela micant, non vos pietatis imago Ulla, nec adversa conspecti fronte parentes Commoveant, vultus gladio turbate verendos. Ostons aux meschants naturels, et sanguinaires, et traistres, ce pretexte de raison laissons là cette justice enorme, et hors de soy et nous tenons aux plus humaines imitations. Combien peut le temps et l'exemple ? En une rencontre de la guerre civile contre Cinna, un soldat de Pompeius, ayant tué sans y penser son frere, qui estoit au party contraire, se tua sur le champ soy-mesme, de honte et de regret Et quelques annees apres, en une autre guerre civile de ce mesme peuple, un soldat, pour avoir tué son frere, demanda recompense à ses capitaines. On argumente mal l'honneur et la beauté d'une action, par son utilité et conclud-on mal, d'estimer que chacun y soit obligé, et qu'elle soit honeste à chacun, si elle est utile. Omnia non pariter rerum sunt omnibus apta. Choisissons la plus necessaire et plus utile de l'humaine societé, ce sera le mariage Si est-ce que le conseil des saincts, trouve le contraire party plus honeste, et en exclut la plus venerable vacation des hommes comme nous assignons au haras, les bestes qui sont de moindre estime. Table des matières Chapitre précédentChapitre suivant CHAPITRE I De l'utile et de l'honeste PERSONNE n'est exempt de dire des fadaises le malheur est, de les dire curieusement Næ iste magno conatu magnas nugas dixerit. Cela ne me touche pas ; les miennes m'eschappent aussi nonchallamment qu'elles le valent D'où bien leur prend Je les quitterois soudain, à peu de coust qu'il y eust Et ne les achette, ny ne les vends, que ce qu'elles poisent Je parle au papier, comme je parle au premier que je rencontre Qu'il soit vray, voicy dequoy. A qui ne doit estre la perfidie detestable, puis que Tybere la refusa à si grand interest ? On luy manda d'Allemaigne, que s'il le trouvoit bon, on le defferoit d'Ariminius par poison. C'estoit le plus puissant ennemy que les Romains eussent, qui les avoit si vilainement traictez soubs Varus, et qui seul empeschoit l'accroissement de sa domination en ces contrees là . Il fit responce, que le peuple Romain avoit accoustumé de se venger de ses ennemis par voye ouverte, les armes en main, non par fraude et en cachette il quitta l'utile pour l'honeste. C'estoit me direz vous un affronteur. Je le croy ce n'est pas grand miracle, à gens de sa profession. Mais la confession de la vertu, ne porte pas moins en la bouche de celuy qui la hayt d'autant que la verité la luy arrache par force, et que s'il ne la veult recevoir en soy, aumoins il s'en couvre, pour s'en parer. Nostre bastiment et public et privé, est plein d'imperfection mais il n'y a rien d'inutile en nature, non pas l'inutilité mesmes, rien ne s'est ingeré en cet univers, qui n'y tienne place opportune. Nostre estre est simenté de qualitez maladives l'ambition, la jalousie, l'envie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d'une si naturelle possession, que l'image s'en recognoist aussi aux bestes Voire et la cruauté, vice si desnaturé car au milieu de la compassion, nous sentons au dedans, je ne sçay quelle aigre-douce poincte de volupté maligne, à voir souffrir autruy et les enfans la sentent Suave mari magno turbantibus æquora ventis, E terra magnum alterius spectare laborem. Desquelles qualitez, qui osteroit les semences en l'homme, destruiroit les fondamentales conditions de nostre vie De mesme, en toute police il y a des offices necessaires, non seulement abjects, mais encores vicieux Les vices y trouvent leur rang, et s'employent à la cousture de nostre liaison comme les venins à la conservation de nostre santé. S'ils deviennent excusables, d'autant qu'ils nous font besoing, et que la necessité commune efface leur vraye qualité il faut laisser jouer cette partie, aux citoyens plus vigoureux, et moins craintifs, qui sacrifient leur honneur et leur conscience, comme ces autres anciens sacrifierent leur vie, pour le salut de leur pays Nous autres plus foibles prenons des rolles et plus aysez et moins hazardeux Le bien public requiert qu'on trahisse, et qu'on mente, et qu'on massacre resignons cette commission à gens plus obeissans et plus soupples. Certes j'ay eu souvent despit, de voir des juges, attirer par fraude et fauces esperances de faveur ou pardon, le criminel à descouvrir son fait, et y employer la piperie et l'impudence Il serviroit bien à la justice, et à Platon mesme, qui favorise cet usage, de me fournir d'autres moyens plus selon moy. C'est une justice malicieuse et ne l'estime pas moins blessee par soy-mesme, que par autruy. Je respondy, n'y a pas long temps, qu'à peine trahirois-je le Prince pour un particulier, qui serois tres-marry de trahir aucun particulier, pour le Prince Et ne hay pas seulement à piper, mais je hay aussi qu'on se pipe en moy je n'y veux pas seulement fournir de matiere et d'occasion. En ce peu que j'ay eu à negocier entre nos Princes, en ces divisions, et subdivisions, qui nous deschirent aujourd'huy j'ay curieusement evité, qu'ils se mesprinssent en moy, et s'enferrassent en mon masque. Les gens du mestier se tiennent les plus couverts, et se presentent et contrefont les plus moyens, et les plus voysins qu'ils peuvent moy, je m'offre par mes opinions les plus vives, et par la forme plus mienne Tendre negotiateur et novice qui ayme mieux faillir à l'affaire, qu'à moy. C'a esté pourtant jusques à cette heure, avec tel heur, car certes fortune y a la principalle part que peu ont passé demain à autre, avec moins de soupçon, plus de faveur et de privauté. J'ay une façon ouverte, aisee à s'insinuer, et à se donner credit, aux premieres accointances. La naifveté et la verité pure, en quelque siecle que ce soit, trouvent encore leur opportunité et leur mise. Et puis de ceux-là est la liberté peu suspecte, et peu odieuse, qui besongnent sans aucun leur interest Et peuvent veritablement employer la responce de Hipperides aux Atheniens, se plaignans de l'aspreté de son parler Messieurs, ne considerez pas si je suis libre, mais si je le suis, sans rien prendre, et sans amender par là mes affaires. Ma liberté m'a aussi aiséement deschargé du soupçon de faintise, par sa vigueur n'espargnant rien à dire pour poisant et cuisant qu'il fust je n'eusse peu dire pis absent et en ce, qu'elle a une montre apparente de simplesse et de nonchalance Je ne pretens autre fruict en agissant, que d'agir, et n'y attache longues suittes et propositions Chasque action fait particulierement son jeu porte s'il peut. Au demeurant, je ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou amoureuse, envers les grands ny n'ay ma volonté garrotee d'offence, ou d'obligation particuliere. Je regarde nos Roys d'une affection simplement legitime et civile, ny emeuà ny demeuà par interest privé, dequoy je me sçay bon gré. La cause generale et juste ne m'attache non plus, que moderément et sans fiévre. Je ne suis pas subjet à ces hypoteques et engagemens penetrans et intimes La colere et la hayne sont au delà du devoir de la justice et sont passions servans seulement à ceux, qui ne tiennent pas assez à leur devoir, par la raison simple Utatur motu animi, qui uti ratione non potest. Toutes intentions legitimes sont d'elles mesmes temperees sinon, elles s'alterent en seditieuses et illegitimes. C'est ce qui me faict marcher par tout, la teste haute, le visage, et le coeur ouvert. A la verité, et ne crains point de l'advouer, je porterois facilement au besoing, une chandelle à Sainct Michel, l'autre à son serpent, suivant le dessein de la vieille Je suivray le bon party jusques au feu, mais exclusivement si je puis Que Montaigne s'engouffre quant et la ruyne publique, si besoing est mais s'il n'est pas besoing, je sçauray bon gré à la fortune qu'il se sauve et autant que mon devoir me donne de corde, je l'employe à sa conservation. Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au juste party, et au party qui perdit, se sauva par sa moderation, en cet universel naufrage du monde, parmy tant de mutations et diversitez ? Aux hommes, comme luy privez, il est plus aisé Et en telle sorte de besongne, je trouve qu'on peut justement n'estre pas ambitieux à s'ingerer et convier soy-mesmes De se tenir chancelant et mestis, de tenir son affection immobile, et sans inclination aux troubles de son pays, et en une division publique, je ne le trouve ny beau, ny honneste Ea non media, sed nulla via est, velut eventum expectantium, quo fortunæ consilia sua applicent. Cela peut estre permis envers les affaires des voysins et Gelon tyran de Syracuse, suspendoit ainsi son inclination en la guerre des Barbares contre les Grecs ; tenant une Ambassade à Delphes, avec des presents pour estre en eschauguette, à veoir de quel costé tomberoit la fortune, et prendre l'occasion à poinct, pour le concilier aux victorieux. Ce seroit une espece de trahison, de le faire aux propres et domestiques affaires, ausquels necessairement il faut prendre party mais de ne s'embesongner point, à homme qui n'a ny charge, ny commandement exprez qui le presse, je le trouve plus excusable et si ne practique pour moy cette excuse qu'aux guerres estrangeres desquelles pourtant, selon nos loix, ne s'empesche qui ne veut. Toutesfois ceux encore qui s'y engagent tout à faict, le peuvent, avec tel ordre et attrempance, que l'orage debvra couler par dessus leur teste, sans offence. N'avions nous pas raison de l'esperer ainsi du feu Evesque d'Orleans, sieur de Morvilliers ? Et j'en cognois entre ceux qui y ouvrent valeureusement à cette heure, de moeurs ou si equables, ou si douces, qu'ils seront, pour demeurer debout, quelque injurieuse mutation et cheute que le ciel nous appreste. Je tiens que c'est aux Roys proprement, de s'animer contre les Roys et me moque de ces esprits, qui de gayeté de coeur se presentent à querelles si disproportionnees Car on ne prend pas querelle particuliere avec un prince, pour marcher contre luy ouvertement et courageusement, pour son honneur, et selon son devoir s'il n'aime un tel personnage, il fait mieux, il l'estime. Et notamment la cause des loix, et defence de l'ancien estat, a tousjours cela, que ceux mesmes qui pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les defenseurs, s'ils ne les honorent. Mais il ne faut pas appeller devoir, comme nous faisons tous les jours, une aigreur et une intestine aspreté, qui naist de l'interest et passion privee, ny courage, une conduitte traistresse et malitieuse. Ils nomment zele, leur propension vers la malignité, et violence Ce n'est pas la cause qui les eschauffe, c'est leur interest Ils attisent la guerre, non par ce qu'elle est juste, mais par ce que c'est guerre. Rien n'empesche qu'on ne se puisse comporter commodément entre des hommes qui se sont ennemis, et loyalement conduisez vous y d'une, sinon par tout esgale affection car elle peut souffrir differentes mesures au moins temperee, et qui ne vous engage tant à l'un, qu'il puisse tout requerir de vous Et vous contentez aussi d'une moienne mesure de leur grace et de couler en eau trouble, sans y vouloir pescher. L'autre maniere de s'offrir de toute sa force aux uns et aux autres, a encore moins de prudence que de conscience. Celuy envers qui vous en trahissez un, duquel vous estes pareillement bien venu sçait-il pas, que de soy vous en faites autant à son tour ? Il vous tient pour un meschant homme ce pendant il vous oit, et tire de vous, et fait ses affaires de vostre desloyauté Car les hommes doubles sont utiles, en ce qu'ils apportent mais il se faut garder, qu'ils n'emportent que le moins qu'on peut. Je ne dis rien à l'un, que je ne puisse dire à l'autre, à son heure, l'accent seulement un peu changé et ne rapporte que les choses ou indifferentes, ou cogneuÃs, ou qui servent en commun. Il n'y a point d'utilité, pour laquelle je me permette de leur mentir. Ce qui a esté fié à mon silence, je le cele religieusement mais je prens à celer le moins que je puis C'est une importune garde, du secret des Princes, à qui n'en a que faire. Je presente volontiers ce marché, qu'ils me fient peu mais qu'ils se fient hardiment, de ce que je leur apporte J'en ay tousjours plus sceu que je n'ay voulu. Un parler ouvert, ouvre un autre parler, et le tire hors, comme fait le vin et l'amour. Philippides respondit sagement à mon gré, au Roy Lysimachus, qui luy disoit, Que veux-tu que je te communique de mes biens ? Ce que tu voudras, pourveu que ce ne soit de tes secrets. Je voy que chacun se mutine, si on luy cache le fonds des affaires ausquels on l'employe, et si on luy en a desrobé quelque arriere-sens Pour moy, je suis content qu'on ne m'en die non plus, qu'on veut que j'en mette en besoigne et ne desire pas, que ma science outrepasse et contraigne ma parole. Si je dois servir d'instrument de tromperie, que ce soit aumoins sauve ma conscience. Je ne veux estre tenu serviteur, ny si affectionné, ny si loyal, qu'on me treuve bon à trahir personne. Qui est infidelle à soy-mesme, l'est excusablement à son maistre. Mais ce sont Princes, qui n'acceptent pas les hommes à moytié, et mesprisent les services limitez et conditionnez. Il n'y a remede je leur dis franchement mes bornes car esclave, je ne le doibs estre que de la raison, encore n'en puis-je bien venir à bout. Et eux aussi ont tort, d'exiger d'un homme libre, telle subjection à leur service, et telle obligation, que de celuy, qu'ils ont faict et achetté ou duquel la fortune tient particulierement et expressement à la leur. Les loix m'ont osté de grand peine, elles m'ont choisi party, et donné un maistre toute autre superiorité et obligation doibt estre relative à celle-là , et retranchee. Si n'est-ce pas à dire, quand mon affection me porteroit autrement, qu'incontinent j'y portasse la main la volonté et les desirs se font loy eux mesmes, les actions ont à la recevoir de l'ordonnance publique. Tout ce mien proceder, est un peu bien dissonant à nos formes ce ne seroit pas pour produire grands effets, ny pour y durer l'innocence mesme ne sçauroit à cette heure ny negotier sans dissimulation, ny marchander sans menterie. Aussi ne sont aucunement de mon gibier, les occupations publiques ce que ma profession en requiert, je l'y fournis, en la forme que je puis la plus privee. Enfant, on m'y plongea jusques aux oreilles, et il succedoit si m'en desprins je de belle heure. J'ay souvent dépuis évité de m'en mesler, rarement accepté, jamais requis, tenant le dos tourné à l'ambition mais sinon comme les tireurs d'aviron, qui s'avancent ainsin à reculons tellement toutesfois, que de ne m'y estre poinct embarqué, j'en suis moins obligé à ma resolution, qu'à ma bonne fortune. Car il y a des voyes moins ennemyes de mon goust, et plus conformes à ma portee, par lesquelles si elle m'eust appellé autrefois au service public, et à mon avancement vers le credit du monde, je sçay que j'eusse passé par dessus la raison de mes discours, pour la suyvre. Ceux qui disent communement contre ma profession, que ce que j'appelle franchise, simplesse, et naifveté, en mes moeurs, c'est art et finesse et plustost prudence, que bonté industrie, que nature bon sens, que bon heur me font plus d'honneur qu'ils ne m'en ostent. Mais certes ils font ma finesse trop fine. Et qui m'aura suyvi et espié de pres, je luy donray gaigné, s'il ne confesse, qu'il n'y a point de regle en leur escole, qui sçeust rapporter ce naturel mouvement, et maintenir une apparence de liberté, et de licence, si pareille, et inflexible, parmy des routes si tortues et diverses et que toute leur attention et engin, ne les y sçauroit conduire. La voye de la verité est une et simple, celle du profit particulier, et de la commodité des affaires, qu'on a en charge, double, inegale, et fortuite. J'ay veu souvent en usage, ces libertez contrefaites, et artificielles, mais le plus souvent, sans succez. Elles sentent volontiers leur asne d'Esope lequel par emulation du chien, vint à se jetter tout gayement, à deux pieds, sur les espaules de son maistre mais autant que le chien recevoit de caresses, de pareille feste, le pauvre asne, en reçeut deux fois autant de bastonnades. Id maximè quemque decet, quod est cujusque suum maximè. Je ne veux pas priver la tromperie de son rang, ce seroit mal entendre le monde je sçay qu'elle a servy souvent profitablement, et qu'elle maintient et nourrit la plus part des vacations des hommes. Il y a des vices legitimes, comme plusieurs actions, ou bonnes, ou excusables, illegitimes. La justice en soy, naturelle et universelle, est autrement reglee, et plus noblement, que n'est cette autre justice speciale, nationale, contrainte au besoing de nos polices Veri juris germanæque justitiæ solidam et expressam effigiem nullam tenemus umbra et imaginibus utimur. Si que le sage Dandamys, oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras, Diogenes, les jugea grands personnages en toute autre chose, mais trop asservis à la reverence des loix Pour lesquelles auctoriser, et seconder, la vraye vertu a beaucoup à se desmettre de sa vigueur originelle et non seulement par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu, mais encores à leur suasion. Ex Senatusconsultis plebisque scitis scelera exercentur. Je suy le langage commun, qui fait difference entre les choses utiles, et les honnestes si que d'aucunes actions naturelles, non seulement utiles, mais necessaires, il les nomme deshonnestes et sales. Mais continuons nostre exemple de la trahison Deux pretendans au royaume de Thrace, estoient tombez en debat de leurs droicts, l'Empereur les empescha de venir aux armes mais l'un d'eux, sous couleur de conduire un accord amiable, par leur entreveuÃ, ayant assigné son compagnon, pour le festoyer en sa maison, le fit emprisonner et tuer. La justice requeroit, que les Romains eussent raison de ce forfaict la difficulté en empeschoit les voyes ordinaires. Ce qu'ils ne peurent legitimement, sans guerre, et sans hazard, ils entreprindrent de le faire par trahison ce qu'ils ne peurent honnestement, ils le firent utilement. A quoy se trouva propre un Pomponius Flaccus Cettuy-cy, soubs feintes parolles, et asseurances, ayant attiré cest homme dans ses rets au lieu de l'honneur et faveur qu'il luy promettoit, l'envoya pieds et poings liez à Romme. Un traistre y trahit l'autre, contre l'usage commun Car ils sont pleins de deffiance, et est mal-aisé de les surprendre par leur art tesmoing la poisante experience, que nous venons d'en sentir. Sera Pomponius Flaccus qui voudra, et en est assez qui le voudront Quant à moy, et ma parolle et ma foy, sont, comme le demeurant, pieces de ce commun corps le meilleur effect, c'est le service public je tiens cela pour presupposé. Mais comme si on me commandoit, que je prinse la charge du Palais, et des plaids, je respondroy, Je n'y entens rien ou la charge de conducteur de pionniers, je diroy, Je suis appellé á un rolle plus digne de mesmes, qui me voudroit employer, à mentir, à trahir, et à me parjurer, pour quelque service notable, non que d'assassiner ou empoisonner je diroy, Si j'ay volé ou desrobé quelqu'un, envoyez moy plustost en gallere. Car il est loysible à un homme d'honneur, de parler ainsi que firent les Lacedemoniens, ayants esté deffaicts par Antipater, sur le poinct de leurs accords Vous nous pouvez commander des charges poisantes et dommageables, autant qu'il vous plaira mais de honteuses, et des-honnestes, vous perdrez vostre temps de nous en commander. Chacun doit avoir juré à soy mesme, ce que les Roys d'Ægypte faisoient solennellement jurer à leurs juges, qu'ils ne se desvoyeroient de leur conscience, pour quelque commandement qu'eux mesmes leur en fissent. A telles commissions il y a note evidente d'ignominie, et de condemnation. Et qui vous la donne, vous accuse, et vous la donne, si vous l'entendez bien, en charge et en peine. Autant que les affaires publiques s'amendent de vostre exploict, autant s'en empirent les vostres vous y faictes d'autant pis, que mieux vous y faictes. Et ne sera pas nouveau, ny à l'avanture sans quelque air de Justice, que celuy mesmes vous ruïne, qui vous aura mis en besongne. Si la trahison doit estre en quelque cas excusable lors seulement elle l'est, qu'elle s'employe à chastier et trahir la trahison. Il se trouve assez de perfidies, non seulement refusees, mais punies, par ceux en faveur desquels elles avoient esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fabritius, à l'encontre du Medecin de Pyrrhus ? Mais cecy encore se trouve que tel l'a commandee, qui par apres l'a vengee rigoureusement, sur celuy qu'il y avoit employé refusant un credit et pouvoir si effrené, et desadvouant un servage et une obeïssance si abandonnee, et si lasche. Jaropelc Duc de Russie, practiqua un gentilhomme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Boleslaus, en le faisant mourir, ou donnant aux Russiens moyen de luy faire quelque notable dommage. Cettuy-cy s'y porta en galandhomme s'addonna plus que devant au service de ce Roy, obtint d'estre de son conseil, et de ses plus feaux. Avec ces advantages, et choisissant à point l'opportunité de l'absence de son maistre, il trahit aux Russiens Visilicie, grande et riche cité qui fut entierement saccagee, et arse par eux, avec occision totale, non seulement des habitans d'icelle, de tout sexe et aage, mais de grand nombre de noblesse de là autour, qu'il y avoit assemblé à ces fins. Jaropelc assouvy de sa vengeance, et de son courroux, qui pourtant n'estoit pas sans tiltre, car Boleslaus l'avoit fort offencé, et en pareille conduitte et saoul du fruict de cette trahison, venant à en considerer la laideur nuà et seule, et la regarder d'une veuà saine, et non plus troublee par sa passion, la print à un tel remors, et contre-coeur, qu'il en fit crever les yeux, et couper la langue, et les parties honteuses, à son executeur. Antigonus persuada les soldats Argyraspides, de luy trahir Eumenes, leur capitaine general, son adversaire. Mais l'eut-il faict tuer, apres qu'ils le luy eurent livré, il desira luy mesme estre commissaire de la justice divine, pour le chastiement d'un forfaict si detestable et les consigna entre les mains du gouverneur de la Province, luy donnant tres-expres commandement, de les perdre, et mettre à male fin, en quelque maniere que ce fust. Tellement que de ce grand nombre qu'ils estoient, aucun ne vit onques puis, l'air de Macedoine. Mieux il en avoit esté servy, d'autant le jugea il avoir esté plus meschamment et punissablement. L'esclave qui trahit la cachette de P. Sulpicius son maistre, fut mis en liberté, suivant la promesse de la proscription de Sylla Mais suivant la promesse de la raison publique, tout libre, il fut precipité du roc Tarpeien. Et nostre Roy Clovis, au lieu des armes d'or qu'il leur avoit promis, fit pendre les trois serviteurs de Cannacre, apres qu'ils luy eurent trahy leur maistre, à quoy il les avoit pratiquez. Ils les font pendre avec la bourse de leur payement au col. Ayant satisfaict à leur seconde foy, et speciale, ils satisfont à la generale et premiere. Mahomed second, se voulant deffaire de son frere, pour la jalousie de la domination, suivant le stile de leur race, y employa l'un de ses officiers qui le suffoqua, l'engorgeant de quantité d'eau, prinse trop à coup. Cela faict, il livra, pour l'expiation de ce meurtre, le meurtrier entre les mains de la mere du trespassé car ils n'estoient freres que de pere elle, en sa presence, ouvrit à ce meurtrier l'estomach et tout chaudement de ses mains, fouillant et arrachant son coeur, le jetta manger aux chiens. Et à ceux mesmes qui ne valent rien, il est si doux, ayant tiré l'usage d'une action vicieuse, y pouvoir hormais coudre en toute seureté, quelque traict de bonté, et de justice comme par compensation, et correction conscientieuse. Joint qu'ils regardent les ministres de tels horribles malefices, comme gents, qui les leur reprochent et cherchent par leur mort d'estouffer la cognoissance et tesmoignage de telles menees. Or si par fortune on vous en recompence, pour ne frustrer la necessité publique, de cet extreme et desesperé remede celuy qui le fait, ne laisse pas de vous tenir, s'il ne l'est luy-mesme, pour un homme maudit et execrable Et vous tient plus traistre, que ne faict celuy, contre qui vous l'estes car il touche la malignité de vostre courage, par voz mains, sans desadveu, sans object. Mais il vous employe, tout ainsi qu'on faict les hommes perdus, aux executions de la haute justice charge autant utile, comme elle est peu honneste. Outre la vilité de telles commissions, il y a de la prostitution de conscience. La fille à Sejanus ne pouvant estre punie à mort, en certaine forme de jugement à Rome, d'autant qu'elle estoit Vierge, fut, pour donner passage aux loix, forcee par le bourreau, avant qu'il l'estranglast Non sa main seulement, mais son ame, est esclave à la commodité publique. Quand le premier Amurath, pour aigrir la punition contre ses subjects, qui avoient donné support à la parricide rebellion de son fils, ordonna, que leurs plus proches parents presteroient la main à cette execution je trouve tres-honeste à aucuns d'iceux, d'avoir choisi plustost, d'estre injustement tenus coulpables du parricide d'un autre, que de servir la justice de leur propre parricide. Et où en quelques bicoques forcees de mon temps, j'ay veu des coquins, pour garantir leur vie, accepter de pendre leurs amis et consorts, je les ay tenus de pire condition que les pendus. On dit que Vuitolde Prince de Lituanie, introduisit en cette nation, que le criminel condamné à mort, eust luy mesme de sa main, à se deffaire trouvant estrange, qu'un tiers innocent de la faute, fust employé et chargé d'un homicide. Le Prince, quand une urgente circonstance, et quelque impetueux et inopiné accident, du besoing de son estat, luy fait gauchir sa parolle et sa foy, ou autrement le jette hors de son devoir ordinaire, doibt attribuer cette necessité, à un coup de la verge divine Vice n'est-ce pas, car il a quitté sa raison, à une plus universelle et puissante raison mais certes c'est malheur. De maniere qu'à quelqu'un qui me demandoit Quel remede ? nul remede, fis-je, s'il fut veritablement gehenné entre ces deux extremes sed videat ne quæratur latebra perjurio il le falloit faire mais s'il le fit, sans regret, s'il ne luy greva de le faire, c'est signe que sa conscience est en mauvais termes. Quand il s'en trouveroit quelqu'un de si tendre conscience, à qui nulle guarison ne semblast digne d'un si poisant remede, je ne l'en estimeroy pas moins. Il ne se sçauroit perdre plus excusablement et decemment. Nous ne pouvons pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut-il souvent, comme à la derniere anchre, remettre la protection de nostre vaisseau à la pure conduitte du ciel. A quelle plus juste necessité se reserve il ? Que luy est-il moins possible à faire que ce qu'il ne peut faire, qu'aux despens de sa foy et de son honneur ? choses, qui à l'aventure luy doivent estre plus cheres que son propre salut, et que le salut de son peuple Quand les bras croisez il appellera Dieu simplement à son aide, n'aura-il pas à esperer, que la divine bonté n'est pour refuser la faveur de sa main extraordinaire à une main pure et juste ? Ce sont dangereux exemples, rares, et maladifves exceptions, à nos regles naturelles il y faut ceder, mais avec grande moderation et circonspection. Aucune utilité privee, n'est digne pour laquelle nous façions cest effort à nostre conscience la publique bien, lors qu'elle est et tres-apparente, et tres-importante. Timoleon se garantit à propos, de l'estrangeté de son exploit, par les larmes qu'il rendit, se souvenant que c'estoit d'une main fraternelle qu'il avoit tué le tyran. Et cela pinça justement sa conscience, qu'il eust esté necessité d'achetter l'utilité publique, à tel prix de l'honnesteté de ses moeurs. Le Senat mesme delivré de servitude par son moyen, n'osa rondement decider d'un si haut faict, et deschiré en deux si poisants et contraires visages. Mais les Syracusains ayans tout à point, à l'heure mesme, envoyé requerir les Corinthiens de leur protection, et d'un chef digne de restablir leur ville en sa premiere dignité, et nettoyer la Sicile de plusieurs tyranneaux, qui l'oppressoient il y deputa Timoleon, avec cette nouvelle deffaitte et declaration Que selon qu'il se porteroit bien ou mal en sa charge, leur arrest prendroit party, à la faveur du liberateur de son païs, ou à la desfaveur du meurtrier de son frere. Cette fantastique conclusion, a quelque excuse, sur le danger de l'exemple et importance d'un faict si divers. Et feirent bien, d'en descharger leur jugement, ou de l'appuier ailleurs, et en des considerations tierces. Or les deportements de Timoleon en ce voyage rendirent bien tost sa cause plus claire, tant il s'y porta dignement et vertueusement, en toutes façons. Et le bon heur qui l'accompagna aux aspretez qu'il eut à vaincre en cette noble besongne, sembla luy estre envoyé par les Dieux conspirants et favorables à sa justification. La fin de cettuy cy est excusable, si aucune le pouvoit estre. Mais le profit de l'augmentation du revenu publique, qui servit de pretexte au Senat Romain à cette orde conclusion, que je m'en vay reciter, n'est pas assez fort pour mettre à garand une telle injustice. Certaines citez s'estoient rachetees à prix d'argent, et remises en liberté, avec l'ordonnance et permission du Senat, des mains de L. Sylla. La chose estant tombee en nouveau jugement, le Senat les condamna à estre taillables comme auparavant et que l'argent qu'elles avoyent employé pour se rachetter, demeureroit perdu pour elles. Les guerres civiles produisent souvent ces vilains exemples Que nous punissons les privez, de ce qu'ils nous ont creu, quand nous estions autres. Et un mesme magistrat fait porter la peine de son changement, à qui n'en peut mais. Le maistre foitte son disciple de docilité, et la guide son aveugle Horrible image de justice. Il y a des regles en la philosophie et faulses et molles. L'exemple qu'on nous propose, pour faire prevaloir l'utilité privee, à la foy donnee, ne reçoit pas assez de poids par la circonstance qu'ils y meslent. Des voleurs vous ont prins, ils vous ont remis en liberté, ayans tiré de vous serment du paiement de certaine somme. On a tort de dire, qu'un homme de bien, sera quitte de sa foy, sans payer, estant hors de leurs mains. Il n'en est rien. Ce que la crainte m'a fait une fois vouloir, je suis tenu de le vouloir encore sans crainte. Et quand elle n'aura forcé que ma langue, sans la volonté encore suis je tenu de faire la maille bonne de ma parole. Pour moy, quand par fois ell'a inconsiderément devancé ma pensee, j'ay faict conscience de la desadvoüer pourtant. Autrement de degré en degré, nous viendrons à abolir tout le droit qu'un tiers prend de noz promesses. Quasi vero forti viro vis possit adhiberi. En cecy seulement a loy, l'interest privé, de nous excuser de faillir à nostre promesse, si nous avons promis chose meschante, et inique de soy. Car le droit de la vertu doibt prevaloir le droit de nostre obligation. J'ay autrefois logé Epaminondas au premier rang des hommes excellens et ne m'en desdy pas. Jusques où montoit-il la consideration de son particulier devoir ? qui ne tua jamais homme qu'il eust vaincu qui pour ce bien inestimable, de rendre la liberté à son païs, faisoit conscience de tuer un Tyran, ou ses complices, sans les formes de la justice et qui jugeoit meschant homme, quelque bon Citoyen qu'il fust, celuy qui entre les ennemis, et en la bataille, n'espargnoit son amy et son hoste. Voyla une ame de riche composition. Il marioit aux plus rudes et violentes actions humaines, la bonté et l'humanité, voire la plus delicate, qui se treuve en l'escole de la Philosophie. Ce courage si gros, enflé, et obstiné contre la douleur, la mort, la pauvreté, estoit-ce nature, ou art, qui l'eust attendry, jusques au poinct d'une si extreme douceur, et debonnaireté de complexion ? Horrible de fer et de sang, il va fracassant et rompant une nation invincible contre tout autre, que contre luy seul et gauchit au milieu d'une telle meslee, au rencontre de son hoste et de son amy. Vrayement celuy la proprement commandoit bien à la guerre, qui luy faisoit souffrir le mors de la benignité, sur le point de sa plus forte chaleur ainsin enflammee qu'elle estoit, et toute escumeuse de fureur et de meurtre. C'est miracle, de pouvoir mesler à telles actions quelque image de justice mais il n'appartient qu'à la roideur d'Epaminondas, d'y pouvoir mesler la douceur et la facilité des moeurs les plus molles, et la pure innocence. Et où l'un dit aux Mammertins, que les statuts n'avoient point de mise envers les hommes armez l'autre, au Tribun du peuple, que le temps de la justice, et de la guerre, estoient deux le tiers, que le bruit des armes l'empeschoit d'entendre la voix des loix cettuy-cy n'estoit pas seulement empesché d'entendre celles de la civilité, et pure courtoisie. Avoit-il pas emprunté de ses ennemis, l'usage de sacrifier aux Muses, allant à la guerre, pour destremper par leur douceur et gayeté, cette furie et aspreté martiale ? Ne craignons point apres un si grand precepteur, d'estimer qu'il y a quelque chose illicite contre les ennemys mesmes que l'interest commun ne doibt pas tout requerir de tous, contre l'interest privé manente memoria etiam in dissidio publicorum foederum privati juris et nulla potentia vires Præstandi, ne quid peccet amicus, habet et que toutes choses ne sont pas loisibles à un homme de bien, pour le service de son Roy, ny de la cause generale et des loix. Non enim patria præstat omnibus officiis, Et ipsi conducit pios habere cives in parentes. C'est une instruction propre au temps Nous n'avons que faire de durcir nos courages par ces lames de fer, c'est assez que nos espaules le soyent c'est assez de tramper nos plumes en ancre, sans les tramper en sang. Si c'est grandeur de courage, et l'effect d'une vertu rare et singuliere, de mespriser l'amitié, les obligations privees, sa parolle, et la parenté, pour le bien commun, et obeïssance du Magistrat c'est assez vrayement pour nous en excuser, que c'est une grandeur, qui ne peut loger en la grandeur du courage d'Epaminondas. J'abomine les exhortemens enragez, de cette autre ame desreiglee, dum tela micant, non vos pietatis imago Ulla, nec adversa conspecti fronte parentes Commoveant, vultus gladio turbate verendos. Ostons aux meschants naturels, et sanguinaires, et traistres, ce pretexte de raison laissons là cette justice enorme, et hors de soy et nous tenons aux plus humaines imitations. Combien peut le temps et l'exemple ? En une rencontre de la guerre civile contre Cinna, un soldat de Pompeius, ayant tué sans y penser son frere, qui estoit au party contraire, se tua sur le champ soy-mesme, de honte et de regret Et quelques annees apres, en une autre guerre civile de ce mesme peuple, un soldat, pour avoir tué son frere, demanda recompense à ses capitaines. On argumente mal l'honneur et la beauté d'une action, par son utilité et conclud-on mal, d'estimer que chacun y soit obligé, et qu'elle soit honeste à chacun, si elle est utile. Omnia non pariter rerum sunt omnibus apta. Choisissons la plus necessaire et plus utile de l'humaine societé, ce sera le mariage Si est-ce que le conseil des saincts, trouve le contraire party plus honeste, et en exclut la plus venerable vacation des hommes comme nous assignons au haras, les bestes qui sont de moindre estime. Table des matières Chapitre précédentChapitre suivant CHAPITRE II Du repentir LES autres forment l'homme, je le recite et en represente un particulier, bien mal formé et lequel si j'avoy à façonner de nouveau, je ferois vrayement bien autre qu'il n'est mes-huy c'est fait. Or les traits de ma peinture, ne se fourvoyent point, quoy qu'ils se changent et diversifient. Le monde n'est qu'une branloire perenne Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d'Ægypte et du branle public, et du leur. La constance mesme n'est autre chose qu'un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object il va trouble et chancelant, d'une yvresse naturelle. Je le prens en ce poinct, comme il est, en l'instant que je m'amuse à luy. Je ne peinds pas l'estre, je peinds le passage non un passage d'aage en autre, ou comme dict le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l'heure. Je pourray tantost changer, non de fortune seulement, mais aussi d'intention C'est un contrerolle de divers et muables accidens, et d'imaginations irresoluÃs, et quand il y eschet, contraires soit que je sois autre moy-mesme, soit que je saisisse les subjects, par autres circonstances, et considerations. Tant y a que je me contredis bien à l'advanture, mais la verité, comme disoit Demades, je ne la contredy point. Si mon ame pouvoit prendre pied, je ne m'essaierois pas, je me resoudrois elle est tousjours en apprentissage, et en espreuve. Je propose une vie basse, et sans lustre C'est tout un, On attache aussi bien toute la philosophie morale, à une vie populaire et privee, qu'à une vie de plus riche estoffe Chaque homme porte la forme entiere, de l'humaine condition. Les autheurs se communiquent au peuple par quelque marque speciale et estrangere moy le premier, par mon estre universel comme, Michel de Montaigne non comme Grammairien ou PoÃte, ou Jurisconsulte. Si le monde se plaint dequoy je parle trop de moy, je me plains dequoy il ne pense seulement pas à soy. Mais est-ce raison, que si particulier en usage, je pretende me rendre public en cognoissance ? Est-il aussi raison, que je produise au monde, où la façon et l'art ont tant de credit et de commandement, des effects de nature et crus et simples, et d'une nature encore bien foiblette ? Est-ce pas faire une muraille sans pierre, ou chose semblable, que de bastir des livres sans science ? Les fantasies de la musique, sont conduits par art, les miennes par sort. Aumoins j'ay cecy selon la discipline, que jamais homme ne traicta subject, qu'il entendist ne cogneust mieux, que je fay celuy que j'ay entrepris et qu'en celuy là je suis le plus sçavant homme qui vive. Secondement, que jamais aucun ne penetra en sa matiere plus avant, ny en esplucha plus distinctement les membres et suittes et n'arriva plus exactement et plus plainement, à la fin qu'il s'estoit proposé à sa besongne. Pour la parfaire, je n'ay besoing d'y apporter que la fidelité celle-là y est, la plus sincere et pure qui se trouve. Je dy vray, non pas tout mon saoul mais autant que je l'ose dire Et l'ose un peu plus en vieillissant car il semble que la coustume concede à cet aage, plus de liberté de bavasser, et d'indiscretion à parler de soy. Il ne peut advenir icy, ce que je voy advenir souvent, que l'artizan et sa besongne se contrarient Un homme de si honneste conversation, a-il faict un si sot escrit ? Ou, des escrits si sçavans, sont-ils partis d'un homme de si foible conversation ? Qui a un entretien commun, et ses escrits rares c'est à dire, que sa capacité est en lieu d'où il l'emprunte, et non en luy. Un personnage sçavant n'est pas sçavant par tout Mais le suffisant est par tout suffisant, et à ignorer mesme. Icy nous allons conformément, et tout d'un train, mon livre et moy. Ailleurs, on peut recommander et accuser l'ouvrage, à part de l'ouvrier icy non qui touche l'un, touche l'autre. Celuy qui en jugera sans le congnoistre, se fera plus de tort qu'à moy celuy qui l'aura cogneu, m'a du tout satisfaict. Heureux outre mon merite, si j'ay seulement cette part à l'approbation publique, que je face sentir aux gens d'entendement, que j'estoy capable de faire mon profit de la science, si j'en eusse eu et que je meritoy que la memoire me secourust mieux. Excusons icy ce que je dy souvent, que je me repens rarement, et que ma conscience se contente de soy non comme de la conscience d'un Ange, ou d'un cheval, mais comme de la conscience d'un homme. Adjoustant tousjours ce refrein, non un refrein de ceremonie, mais de naifve et essentielle submission Que je parle enquerant et ignorant, me rapportant de la resolution, purement et simplement, aux creances communes et legitimes. Je n'enseigne point, je raconte. Il n'est vice veritablement vice, qui n'offence, et qu'un jugement entier n'accuse Car il a de la laideur et incommodité si apparente, qu'à l'advanture ceux-là ont raison, qui disent, qu'il est principalement produict par bestise et ignorance tant est-il mal-aisé d'imaginer qu'on le cognoisse sans le haïr. La malice hume la pluspart de son propre venin, et s'en empoisonne. Le vice laisse comme un ulcere en la chair, une repentance en l'ame, qui tousjours s'esgratigne, et s'ensanglante elle mesme. Car la raison efface les autres tristesses et douleurs, mais elle engendre celle de la repentance qui est plus griefve, d'autant qu'elle naist au dedans comme le froid et le chaud des fiévres est plus poignant, que celuy qui vient du dehors. Je tiens pour vices mais chacun selon sa mesure non seulement ceux que la raison et la nature condamnent, mais ceux aussi que l'opinion des hommes a forgé, voire fauce et erronee, si les loix et l'usage l'auctorise. Il n'est pareillement bonté, qui ne resjouysse une nature bien nee. Il y a certes je ne sçay quelle congratulation, de bien faire, qui nous resjouit en nous mesmes, et une fierté genereuse, qui accompagne la bonne conscience. Une ame courageusement vitieuse, se peut à l'adventure garnir de securité mais de cette complaisance et satisfaction, elle ne s'en peut fournir. Ce n'est pas un leger plaisir, de se sentir preservé de la contagion d'un siecle si gasté, et de dire en soy Qui me verroit jusques dans l'ame, encore ne me trouveroit-il coupable, ny de l'affliction et ruyne de personne ny de vengeance ou d'envie, ny d'offence publique des loix ny de nouvelleté et de trouble ny de faute à ma parole et quoy que la licence du temps permist et apprinst à chacun, si n'ay-je mis la main ny és biens, ny en la bourse d'homme François, et n'ay vescu que sur la mienne, non plus en guerre qu'en paix ny ne me suis servy du travail de personne, sans loyer. Ces tesmoignages de la conscience, plaisent, et nous est grand benefice que cette esjouyssance naturelle et le seul payement qui jamais ne nous manque. De fonder la recompence des actions vertueuses, sur l'approbation d'autruy, c'est prendre un trop incertain et trouble fondement, signamment en un siecle corrompu et ignorant, comme cettuy cy la bonne estime du peuple est injurieuse. A qui vous fiez vous, de veoir ce qui est louable ? Dieu me garde d'estre homme de bien, selon la description que je voy faire tous les jours par honneur, à chacun de soy. Quæ fuerant vitia, mores sunt. Tels de mes amis, ont par fois entreprins de me chapitrer et mercurializer à coeur ouvert, ou de leur propre mouvement, ou semons par moy, comme d'un office, qui à une ame bien faicte, non en utilité seulement, mais en douceur aussi, surpasse tous les offices de l'amitié. Je l'ay tousjours accueilli des bras de la courtoisie et recognoissance, les plus ouverts. Mais, à en parler à cette heure en conscience, j'ay souvent trouvé en leurs reproches et louanges, tant de fauce mesure, que je n'eusse guere failly, de faillir plustost, que de bien faire à leur mode. Nous autres principalement, qui vivons une vie privee, qui n'est en montre qu'à nous, devons avoir estably un patron au dedans, auquel toucher nos actions et selon iceluy nous caresser tantost, tantost nous chastier. J'ay mes loix et ma cour, pour juger de moy, et m'y adresse plus qu'ailleurs. Je restrains bien selon autruy mes actions, mais je ne les estends que selon moy. Il n'y a que vous qui scache si vous estes láche et cruel, ou loyal et devotieux les autres ne vous voyent point, ils vous devinent par conjectures incertaines ils voyent, non tant vostre naturel, que vostre art. Par ainsi, ne vous tenez pas à leur sentence, tenez vous à la vostre. Tuo tibi judicio est utendum. Virtutis et vitiorum grave ipsius conscientiæ pondus est qua sublata, jacent omnia. Mais ce qu'on dit, que la repentance suit de pres le peché, ne semble pas regarder le peché qui est en son haut appareil qui loge en nous comme en son propre domicile. On peut desavouÃr et desdire les vices, qui nous surprennent, et vers lesquels les passions nous emportent mais ceux qui par longue habitude, sont enracinez et ancrez en une volonté forte et vigoureuse, ne sont subjects à contradiction. Le repentir n'est qu'une desdicte de nostre volonté, et opposition de nos fantasies, qui nous pourmene à tout sens. Il faict desadvouÃr à celuy-là , sa vertu passee et sa continence. Quæ mens est hodie, cur eadem non puero fuit, Vel cur his animis incolumes non redeunt genæ ? C'est une vie exquise, celle qui se maintient en ordre jusques en son privé. Chacun peut avoir part au battelage, et representer un honneste personnage en l'eschaffaut mais au dedans, et en sa poictrine, où tout nous est loisible, où tout est caché, d'y estre reglé, c'est le poinct. Le voysin degré, c'est de l'estre en sa maison, en ses actions ordinaires, desquelles nous n'avons à rendre raison à personne où il n'y a point d'estude, point d'artifice. Et pourtant Bias peignant un excellent estat de famille de laquelle, dit-il, le maistre soit tel au dedans, par luy-mesme, comme il est au dehors, par la crainte de la loy, et du dire des hommes. Et fut une digne parole de Julius Drusus, aux ouvriers qui luy offroient pour trois mille escus, mettre sa maison en tel poinct, que ses voysins n'y auroient plus la veuà qu'ils y avoient Je vous en donneray, dit-il, six mille, et faictes que chacun y voye de toutes parts. On remarque avec honneur l'usage d'Agesilaus, de prendre en voyageant son logis dans les Eglises, affin que le peuple, et les dieux mesmes, vissent dans ses actions privees. Tel a esté miraculeux au monde, auquel sa femme et son valet n'ont rien veu seulement de remercable. Peu d'hommes ont esté admirez par leurs domestiques. Nul a esté prophete non seulement en sa maison, mais en son païs, dit l'experience des histoires. De mesmes aux choses de neant. Et en ce bas exemple, se void l'image des grands. En mon climat de Gascongne, on tient pour drolerie de me veoir imprimé. D'autant que la cognoissance, qu'on prend de moy, s'esloigne de mon giste, j'en vaux d'autant mieux. J'achette les Imprimeurs en Guienne ailleurs ils m'achettent. Sur cet accident se fondent ceux qui se cachent vivants et presents, pour se mettre en credit, trespassez et absents. J'ayme mieux en avoir moins. Et ne me jette au monde, que pour la part que j'en tire. Au partir de là , je l'en quitte. Le peuple reconvoye celuy-là , d'un acte public, avec estonnement, jusqu'à sa porte il laisse avec sa robbe ce rolle il en retombe d'autant plus bas, qu'il s'estoit plus haut monté. Au dedans chez luy, tout est tumultuaire et vil. Quand le reglement s'y trouveroit, il faut un jugement vif et bien trié, pour l'appercevoir en ces actions basses et privees. Joint que l'ordre est une vertu morne et sombre Gaigner une bresche, conduire une Ambassade, regir un peuple, ce sont actions esclatantes tancer, rire, vendre, payer, aymer, hayr, et converser avec les siens, et avec soy-mesme, doucement et justement ne relascher point, ne se desmentir point, c'est chose plus rare, plus difficile, et moins remerquable. Les vies retirees soustiennent par là , quoy qu'on die, des devoirs autant ou plus aspres et tendus, que ne font les autres vies. Et les privez, dit Aristote, servent la vertu plus difficilement et hautement, que ne font ceux qui sont en magistrat. Nous nous preparons aux occasions eminentes, plus par gloire que par conscience. La plus courte façon d'arriver à la gloire, ce seroit faire pour la conscience ce que nous faisons pour la gloire. Et la vertu d'Alexandre me semble representer assez moins de vigueur en son theatre, que ne fait celle de Socrates, en cette exercitation basse et obscure. Je conçois aisément Socrates, en la place d'Alexandre ; Alexandre en celle de Socrates, je ne puis Qui demandera à celuy-là , ce qu'il sçait faire, il respondra, Subjuguer le monde qui le demandera à cettuy-cy, il dira, Mener l'humaine vie conformément à sa naturelle condition science bien plus generale, plus poisante, et plus legitime. Le prix de l'ame ne consiste pas à aller haut, mais ordonnément. Sa grandeur ne s'exerce pas en la grandeur c'est en la mediocrité. Ainsi que ceux qui nous jugent et touchent au dedans, ne font pas grand'recette de la lueur de noz actions publiques et voyent que ce ne sont que filets et pointes d'eau fine rejallies d'un fond au demeurant limonneux et poisant. En pareil cas, ceux qui nous jugent par cette brave apparence du dehors, concluent de mesmes de nostre constitution interne et ne peuvent accoupler des facultez populaires et pareilles aux leurs, à ces autres facultez, qui les estonnent, si loin de leur visee. Ainsi donnons nous aux demons des formes sauvages. Et qui non à Tamburlan, des sourcils eslevez, des nazeaux ouverts, un visage afreux, et une taille desmesuree, comme est la taille de l'imagination qu'il en a conceuà par le bruit de son nom ? Qui m'eust faict veoir Erasme autrefois, il eust esté mal-aisé, que je n'eusse prins pour adages et apophthegmes, tout ce qu'il eust dit à son vallet et à son hostesse. Nous imaginons bien plus sortablement un artisan sur sa garderobe ou sur sa femme, qu'un grand President, venerable par son maintien et suffisance. Il nous semble que de ces hauts thrones ils ne s'abaissent pas jusques à vivre. Comme les ames vicieuses sont incitees souvent à bien faire, par quelque impulsion estrangere ; aussi sont les vertueuses à faire mal. Il les faut doncq juger par leur estat rassis quand elles sont chez elles, si quelquefois elles y sont ou aumoins quand elles sont plus voysines du repos, et en leur naifve assiette. Les inclinations naturelles s'aident et fortifient par institution mais elles ne se changent gueres et surmontent. Mille natures, de mon temps, ont eschappé vers la vertu, ou vers le vice, au travers d'une discipline contraire. Sic ubi desuetæ silvis in carcere clausæ Mansuevêre feræ, et vultus posuere minaces, Atque hominem didicere pati, si torrida parvus Venit in ora cruor, redeunt rabiésque furorque, Admonitæque tument gustato sanguine fauces, Fervet, et à trepido vix abstinet ira magistro. On n'extirpe pas ces qualitez originelles, on les couvre, on les cache Le langage Latin m'est comme naturel je l'entens mieux que le François mais il y a quarante ans, que je ne m'en suis du tout poinct servy à parler, ny guere à escrire. Si est-ce qu'à des extremes et soudaines esmotions, où je suis tombé, deux ou trois fois en ma vie et l'une, voyant mon pere tout sain, se renverser sur moy pasmé j'ay tousjours eslancé du fond des entrailles, les premieres paroles Latines Nature se sourdant et s'exprimant à force, à l'encontre d'un si long usage et cet exemple se dit d'assez d'autres. Ceux qui ont essaié de r'aviser les moeurs du monde, de mon temps, par nouvelles opinions, reforment les vices de l'apparence, ceux de l'essence, ils les laissent là , s'ils ne les augmentent Et l'augmentation y est à craindre On se sejourne volontiers de tout autre bien faire, sur ces reformations externes, de moindre coust, et de plus grand merite et satisfait-on à bon marché par là , les autres vices naturels consubstantiels et intestins. Regardez un peu, comment s'en porte nostre experience. Il n'est personne, s'il s'escoute, qui ne descouvre en soy, une forme sienne, une forme maistresse, qui lucte contre l'institution et contre la tempeste des passions, qui luy sont contraires. De moy, je ne me sens gueres agiter par secousse je me trouve quasi tousjours en ma place, comme font les corps lourds et poisans. Si je ne suis chez moy, j'en suis tousjours bien pres mes desbauches ne m'emportent pas fort loing il n'y a rien d'extreme et d'estrange et si ay des ravisemens sains et vigoureux. La vraye condamnation, et qui touche la commune façon de nos hommes, c'est, que leur retraicte mesme est pleine de corruption, et d'ordure l'idee de leur amendement chafourree, leur penitence malade, et en coulpe, autant à peu pres que leur peché. Aucuns, ou pour estre collez au vice d'une attache naturelle, ou par longue accoustumance, n'en trouvent plus la laideur. A d'autres duquel regiment je suis le vice poise, mais ils le contrebalancent avec le plaisir, ou autre occasion et le souffrent et s'y prestent, à certain prix Vitieusement pourtant, et laschement. Si se pourroit-il à l'advanture imaginer, si esloignee disproportion de mesure, où avec justice, le plaisir excuseroit le peché, comme nous disons de l'utilité Non seulement s'il estoit accidental, et hors du peché, comme au larrecin, mais en l'exercice mesme d'iceluy, comme en l'accointance des femmes, où l'incitation est violente, et, dit-on, par fois invincible. En la terre d'un mien parent, l'autre jour que j'estois en Armaignac, je vis un paisant, que chacun surnomme le Larron. Il faisoit ainsi le conte de sa vie Qu'estant nay mendiant, et trouvant, qu'à gaigner son pain au travail de ses mains, il n'arriveroit jamais à se fortifier assez contre l'indigence, il s'advisa de se faire larron et avoit employé à ce mestier toute sa jeunesse, en seureté, par le moyen de sa force corporelle car il moissonnoit et vendangeoit des terres d'autruy mais c'estoit au loing, et à si gros monceaux, qu'il estoit inimaginable qu'un homme en eust tant emporté en une nuict sur ses espaules et avoit soing outre cela, d'egaler, et disperser le dommage qu'il faisoit, si que la foule estoit moins importable à chaque particulier. Il se trouve à cette heure en sa vieillesse, riche pour un homme de sa condition, mercy à cette trafique de laquelle il se confesse ouvertement. Et pour s'accommoder avec Dieu, de ses acquests, il dit, estre tous les jours apres à satisfaire par bien-faicts, aux successeurs de ceux qu'il a desrobez et s'il n'acheve car d'y pourvoir tout à la fois, il ne peut qu'il en chargera ses heritiers, à la raison de la science qu'il a luy seul, du mal qu'il a faict à chacun. Par cette description, soit vraye ou fauce, cettuy-cy regarde le larrecin, comme action des-honneste, et le hayt, mais moins que l'indigence s'en repent bien simplement, mais en tant qu'elle estoit ainsi contrebalancee et compensee, il ne s'en repent pas. Cela, ce n'est pas cette habitude, qui nous incorpore au vice, et y conforme nostre entendement mesme ny n'est ce vent impetueux qui va troublant et aveuglant à secousses nostre ame, et nous precipite pour l'heure, jugement et tout, en la puissance du vice. Je fay coustumierement entier ce que je fay, et marche tout d'une piece je n'ay guere de mouvement qui se cache et desrobe à ma raison, et qui ne se conduise à peu pres, par le consentement de toutes mes parties sans division, sans sedition intestine mon jugement en a la coulpe, ou la louange entiere et la coulpe qu'il a une fois, il l'a tousjours car quasi dés sa naissance il est un, mesme inclination, mesme routte, mesme force. Et en matiere d'opinions universelles, dés l'enfance, je me logeay au poinct où j'avois à me tenir. Il y a des pechez impetueux, prompts et subits, laissons les à part mais en ces autres pechez, à tant de fois reprins, deliberez, et consultez, ou pechez de complexion, ou pechez de profession et de vacation je ne puis pas concevoir, qu'ils soient plantez si long temps en un mesme courage, sans que la raison et la conscience de celuy qui les possede, le vueille constamment, et l'entende ainsin Et le repentir qu'il se vante luy en venir à certain instant prescript, m'est un peu dur à imaginer et former. Je ne suy pas la secte de Pythagoras, que les hommes prennent une ame nouvelle, quand ils approchent des simulacres des Dieux, pour recueillir leurs oracles Sinon qu'il voulust dire cela mesme, qu'il faut bien qu'elle soit estrangere, nouvelle, et prestee pour le temps la nostre montrant si peu de signe de purification et netteté condigne à cet office. Ils font tout à l'opposite des preceptes Stoiques qui nous ordonnent bien, de corriger les imperfections et vices que nous recognoissons en nous, mais nous defendent d'en alterer le repos de nostre ame. Ceux-cy nous font à croire, qu'ils en ont grande desplaisance, et remors au dedans, mais d'amendement et correction ny d'interruption, ils ne nous en font rien apparoir. Si n'est-ce pas guerison, si on ne se descharge du mal Si la repentance pesoit sur le plat de la balance, elle emporteroit le peché. Je ne trouve aucune qualité si aysee à contrefaire, que la devotion, si on n'y conforme les moeurs et la vie son essence est abstruse et occulte, les apparences faciles et pompeuses. Quant à moy, je puis desirer en general estre autre je puis condamner et me desplaire de ma forme universelle, et supplier Dieu pour mon entiere reformation, et pour l'excuse de ma foiblesse naturelle mais cela, je ne le doibs nommer repentir, ce me semble, non plus que le desplaisir de n'estre ny Ange ny Caton. Mes actions sont reglees, et conformes à ce que je suis, et à ma condition. Je ne puis faire mieux et le repentir ne touche pas proprement les choses qui ne sont pas en nostre force ouy bien le regret. J'imagine infinies natures plus hautes et plus reglees que la mienne Je n'amende pourtant mes facultez comme ny mon bras, ny mon esprit, ne deviennent plus vigoureux, pour en concevoir un autre qui le soit. Si l'imaginer et desirer un agir plus noble que le nostre, produisoit la repentance du nostre, nous aurions à nous repentir de nos operations plus innocentes d'autant que nous jugeons bien qu'en la nature plus excellente, elles auroyent esté conduictes d'une plus grande perfection et dignité et voudrions faire de mesme. Lors que je consulte des deportemens de ma jeunesse avec ma vieillesse, je trouve que je les ay communement conduits avec ordre, selon moy. C'est tout ce que peut ma resistance. Je ne me flatte pas à circonstances pareilles, je seroy tousjours tel. Ce n'est pas macheure, c'est plustost une teinture universelle qui me tache. Je ne cognoy pas de repentance superficielle, moyenne, et de ceremonie. Il faut qu'elle me touche de toutes parts, avant que je la nomme ainsin et qu'elle pinse mes entrailles, et les afflige au tant profondement, que Dieu me voit, et autant universellement. Quand aux negoces, il m'est eschappé plusieurs bonnes avantures, à faute d'heureuse conduitte mes conseils ont pourtant bien choisi, selon les occurrences qu'on leur presentoit. Leur façon est de prendre tousjours le plus facile et seur party. Je trouve qu'en mes deliberations passees, j'ay, selon ma regle, sagement procedé, pour l'estat du subject qu'on me proposoit et en ferois autant d'icy à mille ans, en pareilles occasions. Je ne regarde pas, quel il est à cette heure, mais quel il estoit, quand j'en consultois. La force de tout conseil gist au temps les occasions et les matieres roulent et changent sans cesse. J'ay encouru quelques lourdes erreurs en ma vie, et importantes non par faute de bon advis, mais par faute de bon heur. Il y a des parties secrettes aux objects, qu'on manie, et indivinables signamment en la nature des hommes des conditions muettes, sans montre, incognues par fois du possesseur mesme qui se produisent et esveillent par des occasions survenantes. Si ma prudence ne les a peu penetrer et profetizer, je ne luy en sçay nul mauvais gré sa charge se contient en ses limites. Si l'evenement me bat, et s'il favorise le party que j'ay refusé il n'y a remede, je ne m'en prens pas à moy, j'accuse ma fortune, non pas mon ouvrage cela ne s'appelle pas repentir. Phocion avoit donné aux Atheniens certain advis, qui ne fut pas suivy l'affaire pourtant se passant contre son opinion, avec prosperité, quelqu'un luy dit Et bien Phocion, és tu content que la chose aille si bien ? Bien suis-je content, fit-il, qu'il soit advenu cecy, mais je ne me repens point d'avoir conseillé cela. Quand mes amis s'adressent à moy, pour estre conseillez, je le fay librement et clairement, sans m'arrester comme faict quasi tout le monde, à ce que la chose estant hazardeuse, il peut advenir au rebours de mon sens, par où ils ayent à me faire reproche de mon conseil dequoy il ne me chaut. Car ils auront tort, et je n'ay deu leur refuser cet office. Je n'ay guere à me prendre de mes fautes ou infortunes, à autre qu'à moy. Car en effect, je me sers rarement des advis d'autruy, si ce n'est par honneur de ceremonie sauf où j'ay besoing d'instruction de science, ou de la cognoissance du faict. Mais és choses où je n'ay à employer que le jugement les raisons estrangeres peuvent servir à m'appuyer, mais peu à me destourner. Je les escoute favorablement et decemment toutes. Mais, qu'il m'en souvienne, je n'en ay creu jusqu'à cette heure que les miennes. Selon moy, ce ne sont que mousches et atomes, qui promeinent ma volonté. Je prise peu mes opinions mais je prise aussi peu celles des autres, fortune me paye dignement. Si je ne reçoy pas de conseil, j'en donne aussi peu. J'en suis peu enquis, et encore moins creu et ne sache nulle entreprinse publique ny privee, que mon advis aye redressee et ramenee. Ceux mesmes que la fortune y avoit aucunement attachez, se sont laissez plus volontiers manier à toute autre cervelle qu'à la mienne. Comme cil qui suis bien autant jaloux des droits de mon repos, que des droits de mon auctorité, je l'ayme mieux ainsi. Me laissant là , on fait selon ma profession, qui est, de m'establir et contenir tout en moy Ce m'est plaisir, d'estre desinteressé des affaires d'autruy, et desgagé de leur gariement. En tous affaires quand ils sont passés, comment que ce soit, j'y ay peu de regret Car cette imagination me met hors de peine, qu'ils devoyent ainsi passer les voyla dans le grand cours de l'univers, et dans l'encheineure des causes Stoïques. Vostre fantasie n'en peut, par souhait et imagination, remuer un poinct, que tout l'ordre des choses ne renverse et le passé et l'advenir. Au demeurant, je hay cet accidental repentir que l'aage apporte. Celuy qui disoit anciennement, estre obligé aux annees, dequoy elles l'avoyent deffait de la volupté, avoit autre opinion que la mienne Je ne sçauray jamais bon gré à l'impuissance, de bien qu'elle me face. Nec tam aversa unquam videbitur ab opere suo providentia, ut debilitas inter optima inventa sit. Nos appetits sont rares en la vieillesse une profonde satieté nous saisit apres le coup En cela je ne voy rien de conscience Le chagrin, et la foiblesse nous impriment une vertu lasche, et caterreuse. Il ne nous faut pas laisser emporter si entiers, aux alterations naturelles, que d'en abastardir nostre jugement. La jeunesse et le plaisir n'ont pas faict autrefois que j'aye mescogneu le visage du vice en la volupté ny ne fait à cette heure, le degoust que les ans m'apportent, que je mescognoisse celuy de la volupté au vice. Ores que je n'y suis plus, j'en juge comme si j'y estoy. Moy qui la secouà vivement et attentivement, trouve que ma raison est celle mesme que j'avoy en l'aage plus licencieux sinon à l'avanture, d'autant qu'elle s'est affoiblie et empiree, en vieillissant. Et trouve que ce qu'elle refuse de m'enfourner à ce plaisir, en consideration de l'interest de ma santé corporelle, elle ne le feroit non plus qu'autrefois, pour la santé spirituelle. Pour la voir hors de combat, je ne l'estime pas plus valeureuse. Mes tentations sont si cassees et mortifiees, qu'elles ne valent pas qu'elle s'y oppose tendant seulement les mains au devant, je les conjure. Qu'on luy remette en presence, cette ancienne concupiscence, je crains qu'elle auroit moins de force à la soustenir, qu'elle n'avoit autrefois. Je ne luy voy rien juger à part soy, que lors elle ne jugeast, ny aucune nouvelle clarté. Parquoy s'il y a convalescence, c'est une convalescence maleficiee. Miserable sorte de remede, devoir à la maladie sa santé. Ce n'est pas à nostre malheur de faire cet office c'est au bon heur de nostre jugement. On ne me fait rien faire par les offenses et afflictions, que les maudire. C'est aux gents, qui ne s'esveillent qu'à coups de fouÃt. Ma raison a bien son cours plus delivre en la prosperité elle est bien plus distraitte et occupee à digerer les maux, que les plaisirs. Je voy bien plus clair en temps serain. La santé m'advertit, comme plus alaigrement, aussi plus utilement, que la maladie. Je me suis avancé le plus que j'ay peu, vers ma reparation et reiglement, lors que javoy à en jouïr. Je seroy honteux et envieux, que la misere et l'infortune de ma vieillesse eust à se preferer à mes bonnes annees, saines, esveillees, vigoureuses. Et qu'on eust à m'estimer, non par où j'ay esté, mais par où j'ay cessé d'estre. A mon advis, c'est le vivre heureusement, non, comme disoit Antisthenes, le mourir heureusement, qui fait l'humaine felicité. Je ne me suis pas attendu d'attacher monstrueusement la queuà d'un philosophe à la teste et au corps d'un homme perdu ny que ce chetif bout eust à desadvoüer et desmentir la plus belle, entiere et longue partie de ma vie. Je me veux presenter et faire veoir par tout uniformément. Si j'avois à revivre, je revivrois comme j'ay vescu. Ny je ne pleins le passé. ny je ne crains l'advenir et si je ne me deçoy, il est allé du dedans environ comme du dehors. C'est une des principales obligations, que j'aye à ma fortune, que le cours de mon estat corporel ayt esté conduit, chasque chose en sa saison, j'en ay veu l'herbe, et les fleurs, et le fruit et en voy la secheresse. Heureusement, puisque c'est naturellement. Je porte bien plus doucement les maux que j'ay, d'autant qu'ils sont en leur poinct et qu'ils me font aussi plus favorablement souvenir de la longue felicité de ma vie passee. Pareillement, ma sagesse peut bien estre de mesme taille, en l'un et en l'autre temps mais elle estoit bien de plus d'exploit, et de meilleure grace, verte, gaye, naïve, qu'elle n'est à present, cassee, grondeuse, laborieuse. Je renonce donc à ces reformations casuelles et douloureuses. Il faut que Dieu nous touche le courage il faut que nostre conscience s'amende d'elle mesme, par renforcement de nostre raison, non par l'affoiblissement de nos appetits. La volupté n'en est en soy, ny pasle ny descoulouree, pour estre apperceuà par des yeux chassieux et troubles. On doibt aymer la temperance par elle mesme, et pour le respect de Dieu qui nous l'a ordonnee, et la chasteté celle que les caterres nous prestent, et que je doibs au benefice de ma cholique, ce n'est ny chasteté, ny temperance. On ne peut se vanter de mespriser et combatre la volupté, si on ne la voit, si on l'ignore, et ses graces, et ses forces, et sa beauté plus attrayante. Je cognoy l'une et l'autre, c'est à moy de le dire Mais il me semble qu'en la vieillesse, nos ames sont subjectes à des maladies et imperfections plus importunes, qu'en la jeunesse Je le disois estant jeune, lors on me donnoit de mon menton par le nez je le dis encore à cette heure, que mon poil gris m'en donne le credit Nous appellons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses presentes mais à la verité, nous ne quittons pas tant les vices, comme nous les changeons et, à mon opinion, en pis. Outre une sotte et caduque fierté, un babil ennuyeux, ces humeurs espineuses et inassociables, et la superstition, et un soin ridicule des richesses, lors que l'usage en est perdu, j'y trouve plus d'envie, d'injustice et de malignité. Elle nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage et ne se void point d'ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisi. L'homme marche entier, vers son croist et vers son décroist. A voir la sagesse de Socrates, et plusieurs circonstances de sa condamnation, j'oseroy croire, qu'il s'y presta aucunement luy mesme, par prevarication, à dessein ayant de si prés, aagé de soixante et dix ans, à souffrir l'engourdissement des riches allures de son esprit, et l'esblouïssement de sa clairté accoustumee. Quelles Metamorphoses luy voy-je faire tous les jours, en plusieurs de mes cognoissans ? c'est une puissante maladie, et qui se coule naturellement et imperceptiblement il y faut grande provision d'estude, et grande precaution, pour eviter les imperfections qu'elle nous charge ou aumoins affoiblir leur progrez. Je sens que nonobstant tous mes retranchemens, elle gaigne pied à pied sur moy Je soustien tant que je puis, mais je ne sçay en fin, où elle me menera moy-mesme A toutes avantures, je suis content qu'on sçache d'où je seray tombé. Table des matières Chapitre précédentChapitre suivant CHAPITRE III De trois commerces IL ne faut pas se clouÃr si fort à ses humeurs et complexions. Nostre principalle suffisance, c'est, sçavoir s'appliquer à divers usages. C'est estre, mais ce n'est pas vivre que se tenir attaché et obligé par necessité, à un seul train. Les plus belles ames sont celles qui ont plus de varieté et de souplesse. Voyla un honorable tesmoignage du vieil Caton Huic versatile ingenium sic pariter ad omnia fuit, ut natum ad id unum diceres, quodcumque ageret. Si c'estoit à moy à me dresser à ma mode, il n'est aucune si bonne façon, où je voulusse estre fiché, pour ne m'en sçavoir desprendre. La vie est un mouvement inegal, irregulier, et multiforme. Ce n'est pas estre amy de soy, et moins encore maistre c'est en estre esclave, de se suivre incessamment et estre si pris à ses inclinations, qu'on n'en puisse fourvoyer, qu'on ne les puisse tordre. Je le dy à cette heure, pour ne me pouvoir facilement despestrer de l'importunité de mon ame, en ce qu'elle ne sçait communément s'amuser, sinon où elle s'empesche, ny s'employer, que bandee et entiere. Pour leger subject qu'on luy donne, elle le grossit volontiers, et l'estire, jusques au poinct où elle ayt à s'y embesongner de toute sa force. Son oysiveté m'est à cette cause une penible occupation, et qui offense ma santé. La plus part des esprits ont besoing de matiere estrangere, pour se desgourdir et exercer le mien en a besoing, pour se rassoir plustost et sejourner, vitia otii negotio discutienda sunt Car son plus laborieux et principal estude, c'est, s'estudier soy. Les livres sont, pour luy, du genre des occupations, qui le desbauchent de son estude. Aux premieres pensees qui luy viennent, il s'agite, et fait preuve de sa vigueur à tout sens exerce son maniement tantost vers la force, tantost vers l'ordre et la grace, se range, modere, et fortifie. Il a dequoy esveiller ses facultez par luy mesme Nature luy a donné comme à tous, assez de matiere sienne, pour son utilité, et des subjects propres assez, où inventer et juger. Le mediter est un puissant estude et plein, à qui sçait se taster et employer vigoureusement. J'ayme mieux forger mon ame, que la meubler. Il n'est point d'occupation ny plus foible, ny plus forte, que celle d'entretenir ses pensees, selon l'ame que c'est. Les plus grandes en font leur vacation, quibus vivere est cogitare. Aussi l'a nature favorisee de ce privilege, qu'il n'y a rien, que nous puissions faire si long temps ny action à laquelle nous nous addonnions plus ordinairement et facilement. C'est la besongne des Dieux, dit Aristote, de laquelle naist et leur beatitude et la nostre. La lecture me sert specialement à esveiller par divers objects mon discours à embesongner mon jugement, non ma memoyre. Peu d'entretiens doncq m'arrestent sans vigueur et sans effort Il est vray que la gentillesse et la beauté me remplissent et occupent, autant ou plus, que le pois et la profondeur. Et d'autant que je sommeille en toute autre communication, et que je n'y preste que l'escorce de mon attention, il m'advient souvent, en telle sorte de propos abatus et lasches, propos de contenance, de dire et respondre des songes et bestises, indignes d'un enfant, et ridicules ou de me tenir obstiné en silence, plus ineptement encore et incivilement. J'ay une façon resveuse, qui me retire à moy et d'autre part une lourde ignorance et puerile, de plusieurs choses communes Par ces deux qualitez, j'ay gaigné, qu'on puisse faire au vray, cinq ou six contes de moy, aussi niais que d'autre quel qu'il soit. Or suyvant mon propos, cette complexion difficile me rend delicat à la pratique des hommes il me les faut trier sur le volet et me rend incommode aux actions communes. Nous vivons, et negotions avec le peuple si sa conversation nous importune, si nous desdaignons à nous appliquer aux ames basses et vulgaires et les basses et vulgaires sont souvent aussi reglees que les plus déliees et toute sapience est insipide qui ne s'accommode à l'insipience commune il ne nous faut plus entremettre ny de nos propres affaires, ny de ceux d'autruy et les publiques et les privez se demeslent avec ces gens là . Les moins tendues et plus naturelles alleures de nostre ame, sont les plus belles les meilleures occupations, les moins efforcees. Mon Dieu, que la sagesse faict un bon office à ceux, de qui elle renge les desirs à leur puissance ! Il n'est point de plus utile science. Selon qu'on peut c'estoit le refrain et le mot favory de Socrates Mot de grande substance il faut addresser et arrester nos desirs, aux choses les plus aysees et voysines. Ne m'est-ce pas une sotte humeur, de disconvenir avec un milier à qui ma fortune me joint, de qui je ne me puis passer, pour me tenir à un ou deux, qui sont hors de mon commerce ou plustost à un desir fantastique, de chose que je ne puis recouvrer ? Mes moeurs molles, ennemies de toute aigreur et aspreté, peuvent aysement m'avoir deschargé d'envies et d'inimitiez D'estre aymé, je ne dy, mais de n'estre point hay, jamais homme n'en donna plus d'occasion Mais la froideur de ma conversation, m'a desrobé avec raison, la bien-vueillance de plusieurs, qui sont excusables de l'interpreter à autre, et pire sens. Je suis tres-capable d'acquerir et maintenir des amitiez rares et exquises. D'autant que je me harpe avec si grande faim aux accointances qui reviennent à mon goust, je m'y produis, je m'y jette si avidement, que je ne faux pas aysement de m'y attacher, et de faire impression où je donne j'en ay faict souvent heureuse preuve. Aux amitiez communes, je suis aucunement sterile et froid car mon aller n'est pas naturel, s'il n'est à pleine voyle. Outrece, que ma fortune m'ayant duit et affriandé de jeunesse, à une amitié seule et parfaicte, m'a à la verité aucunement desgousté des autres et trop imprimé en la fantasie, qu'elle est beste de compagnie, non pas de troupe, comme disoit cet ancien. Aussi, que j'ay naturellement peine à me communiquer à demy et avec modification, et cette servile prudence et soupçonneuse, qu'on nous ordonne, en la conversation de ces amitiez nombreuses, et imparfaictes. Et nous l'ordonne lon principalement en ce temps, qu'il ne se peut parler du monde, que dangereusement, ou faucement. Si voy-je bien pourtant, que qui a comme moy, pour sa fin, les commoditez de sa vie je dy les commoditez essentielles doibt fuyr comme la peste, ces difficultez et delicatesse d'humeur. Je louerois un'ame à divers estages, qui sçache et se tendre et se desmonter qui soit bien par tout où sa fortune la porte qui puisse deviser avec son voisin, de son bastiment, de sa chasse et de sa querelle entretenir avec plaisir un charpentier et un jardinier. J'envie ceux, qui sçavent s'aprivoiser au moindre de leur suitte, et dresser de l'entretien en leur propre train. Et le conseil de Platon ne me plaist pas, de parler tousjours d'un langage maistral à ses serviteurs, sans jeu, sans familiarité soit envers les masles, soit envers les femelles. Car outre ma raison, il est inhumain et injuste, de faire tant valoir cette telle quelle prerogative de la fortune et les polices, où il se souffre moins de disparité entre les valets et les maistres, me semblent les plus equitables. Les autres s'estudient à eslancer et guinder leur esprit moy à le baisser et coucher il n'est vicieux qu'en extention. Narras et genus Æaci, Et pugnata sacro bella sub Ilio, Quo Chium pretio cadum Mercemur, quis aquam temperet ignibus, Quo præbente domum, Et quota Pelignis caream frigoribus, taces. Ainsi comme la vaillance Lacedemonienne avoit besoing de moderation, et du son doux et gratieux du jeu des flustes, pour la flatter en la guerre, de peur qu'elle ne se jettast à la temerité, et à la furie là où toutes autres nations ordinairement employent des sons et des voix aigues et fortes, qui esmeuvent et qui eschauffent à outrance le courage des soldats il me semble de mesme, contre la forme ordinaire, qu'en l'usage de nostre esprit, nous avons pour la plus part, plus besoing de plomb, que d'ailes de froideur et de repos, que d'ardeur et d'agitation. Sur tout, c'est à mon gré bien faire le sot, que de faire l'entendu, entre ceux qui ne le sont pas parler tousjours bandé, favellar in punta di forchetta Il faut se desmettre au train de ceux avec qui vous estes, et par fois affecter l'ignorance Mettez à part la force et la subtilité en l'usage commun, c'est assez d'y reserver l'ordre trainez vous au demeurant à terre, s'ils veulent. Les sçavans chopent volontiers à cette pierre ils font tousjours parade de leur magistere, et sement leurs livres par tout Ils en ont en ce temps entonné si fort les cabinets et oreilles des dames, que si elles n'en ont retenu la substance, au moins elles en ont la mine A toute sorte de propos, et matiere, pour basse et populaire qu'elle soit, elles se servent d'une façon de parler et d'escrire, nouvelle et sçavante. Hoc sermone pavent, hoc iram, gaudia, curas, Hoc cuncta effundunt animi secreta, quid ultra ? Concumbunt docte. Et alleguent Platon et sainct Thomas, aux choses ausquelles le premier rencontré, serviroit aussi bien de tesmoing. La doctrine qui ne leur a peu arriver en l'ame, leur est demeuree en la langue. Si les bien-nees me croient, elles se contenteront de faire valoir leurs propres et naturelles richesses Elles cachent et couvrent leurs beautez, soubs des beautez estrangeres c'est grande simplesse, d'estouffer sa clarté pour luire d'une lumiere empruntee Elles sont enterrees et ensevelies soubs l'art De capsula totæ. C'est qu'elles ne se cognoissent point assez le monde n'a rien de plus beau c'est à elles d'honnorer les arts, et de farder le fard. Que leur faut-il, que vivre aymees et honnorees ? Elles n'ont, et ne sçavent que trop, pour cela. Il ne faut qu'esveiller un peu, et reschauffer les facultez qui sont en elles. Quand je les voy attachees à la rhetorique, à la judiciaire, à la logique, et semblables drogueries, si vaines et inutiles à leur besoing j'entre en crainte, que les hommes qui le leur conseillent, le facent pour avoir loy de les regenter soubs ce tiltre. Car quelle autre excuse leur trouverois-je ? Baste, qu'elles peuvent sans nous, renger la grace de leurs yeux, à la gayeté, à la severité, et à la douceur assaisonner un nenny, de rudesse, de doubte, et de faveur et qu'elles ne cherchent point d'interprete aux discours qu'on faict pour leur service. Avec cette science, elles commandent à baguette, et regentent les regents et l'escole. Si toutesfois il, leur fasche de nous ceder en quoy que ce soit, et veulent par curiosité avoir part aux livres la poÃsie est un amusement propre à leur besoin c'est un art follastre, et subtil, desguisé, parlier, tout en plaisir, tout en montre, comme elles. Elles tireront aussi diverses commoditez de l'histoire. En la philosophie, de la part qui sert à la vie, elles prendront les discours qui les dressent à juger de nos humeurs et conditions, à se deffendre de nos trahisons à regler la temerité de leurs propres desirs à mesnager leur liberté allonger les plaisirs de la vie, et à porter humainement l'inconstance d'un serviteur, la rudesse d'un mary, et l'importunité des ans, et des rides, et choses semblables. Voyla pour le plus, la part que je leur assignerois aux sciences. Il y a des naturels particuliers, retirez et internes Ma forme essentielle, est propre à la communication, et à la production je suis tout au dehors et en evidence, nay à la societé et à l'amitié La solitude que j'ayme, et que je presche, ce n'est principallement, que ramener à moy mes affections, et mes pensees restreindre et resserrer, non mes pas, ains mes desirs et mon soucy, resignant la solicitude estrangere, et fuyant mortellement la servitude, et l'obligation et non tant la foule des hommes, que la foule des affaires. La solitude locale, à dire verité, m'estend plustost, et m'eslargit au dehors je me jette aux affaires d'estat, et à l'univers, plus volontiers quand je suis seul. Au Louvre et en la presse, je me resserre et contraints en ma peau. La foule me repousse à moy. Et ne m'entretiens jamais si folement, si licentieusement et particulierement, qu'aux lieux de respect, et de prudence ceremonieuse Nos folies ne me font pas rire, ce sont nos sapiences. De ma complexion, je ne suis pas ennemy de l'agitation des cours j'y ay passé partie de la vie et suis faict à me porter allaigrement aux grandes compagnies pourveu que ce soit par intervalles, et à mon poinct. Mais cette mollesse de jugement, dequoy je parle, m'attache par force à la solitude. Voire chez moy, au milieu d'une famille peuplee, et maison des plus frequentees, j'y voy des gens assez, mais rarement ceux, avecq qui j'ayme à communiquer. Et je reserve là , et pour moy, et pour les autres, une liberté inusitee Il s'y faict trefve de ceremonie, d'assistance, et convoiemens, et telles autres ordonnances penibles de nostre courtoisie ô la servile et importune usance chacun s'y gouverne à sa mode, y entretient qui veut ses pensees je m'y tiens muet, resveur, et enfermé, sans offence de mes hostes. Les hommes, de la societé et familiarité desquels je suis en queste, sont ceux qu'on appelle honnestes et habiles hommes l'image de ceux icy me degouste des autres. C'est à le bien prendre, de nos formes, la plus rare et forme qui se doit principallement à la nature. La fin de ce commerce, c'est simplement la privauté, frequentation, et conference l'exercice des ames, sans autre fruit. En nos propos, tous subjects me sont égaux il ne me chaut qu'il y ayt ny poix, ny profondeur la grace et la pertinence y sont tousjours tout y est teinct d'un jugement meur et constant, et meslé de bonté, de franchise, de gayeté et d'amitié. Ce n'est pas au subject des substitutions seulement, que nostre esprit montre sa beauté et sa force, et aux affaires des Roys il la montre autant aux confabulations privees. Je congnois mes gens au silence mesme, et à leur soubs-rire, et les descouvre mieux à l'advanture à table, qu'au conseil. Hippomachus disoit bien qu'il congnoissoit les bons lucteurs, à les voir simplement marcher par une ruÃ. S'il plaist à la doctrine de se mesler à nos devis, elle n'en sera point refusee Non magistrale, imperieuse, et importune, comme de coustume, mais suffragante et docile elle mesme. Nous n'y cherchons qu'à passer le temps à l'heure d'estre instruicts et preschez, nous l'irons trouver en son throsne. Qu'elle se demette à nous pour ce coup s'il luy plaist car toute utile et desirable qu'elle est, je presuppose, qu'encore au besoing nous en pourrions nous bien du tout passer, et faire nostre effect sans elle. Une ame bien nee, et exercee à la practique des hommes, se rend plainement aggreable d'elle mesme. L'art n'est autre chose que le contrerolle, et le registre des productions de telles ames. C'est aussi pour moy un doux commerce, que celuy des belles et honnestes femmes nam nos quoque oculos eruditos habemus. Si l'ame n'y a pas tant à jouyr qu'au premier, les sens corporels qui participent aussi plus à cettuy-cy, le ramenent à une proportion voisine de l'autre quoy que selon moy, non pas esgalle. Mais c'est un commerce où il se faut tenir un peu sur ses gardes et notamment ceux en qui le corps peut beaucoup, comme en moy. Je m'y eschauday en mon enfance et y souffris toutes les rages, que les poÃtes disent advenir à ceux qui s'y laissent aller sans ordre et sans jugement. Il est vray que ce coup de fouÃt m'a servy depuis d'instruction. Quicumque Argolica de classe Capharea fugit, Semper ab Euboicis vela retorquet aquis. C'est folie d'y attacher toutes ses pensees, et s'y engager d'une affection furieuse et indiscrette Mais d'autre part, de s'y mesler sans amour, et sans obligation de volonté, en forme de comediens, pour jouer un rolle commun, de l'aage et de la coustume, et n'y mettre du sien que les parolles c'est de vray pourvoir à sa seureté mais bien laschement, comme celuy qui abandonneroit son honneur ou son proffit, ou son plaisir, de peur du danger Car il est certain, que d'une telle pratique, ceux qui la dressent, n'en peuvent esperer aucun fruict, qui touche ou satisface une belle ame. Il faut avoir en bon escient desiré, ce qu'on veut prendre en bon escient plaisir de jouyr Je dy quand injustement fortune favoriseroit leur masque ce qui advient souvent, à cause de ce qu'il n'y a aucune d'elles, pour malotrue qu'elle soit, qui ne pense estre bien aymable, qui ne se recommande par son aage, ou par son poil, ou par son mouvement car de laides universellement, il n'en est non plus que de belles et les filles Brachmanes, qui ont faute d'autre recommendation, le peuple assemblé à cri publiq pour cest effect, vont en la place, faisans montre de leurs parties matrimoniales veoir, si par là aumoins elles ne valent pas d'acquerir un mary. Par consequent il n'en est pas une qui ne se laisse facilement persuader au premier serment qu'on luy fait de la servir. Or de cette trahison commune et ordinaire des hommes d'aujourd'huy, il faut qu'il advienne, ce que desja nous montre l'experience c'est qu'elles se r'allient et rejettent à elles mesmes, ou entre elles, pour nous fuyr ou bien qu'elles se rengent aussi de leur costé, à cet exemple que nous leur donnons qu'elles joüent leur part de la farce, et se prestent à cette negociation, sans passion, sans soing et sans amour Neque affectui suo aut alieno obnoxiæ. Estimans, suyvant la persuasion de Lysias en Platon, qu'elles se peuvent addonner utilement et commodement à nous, d'autant plus, que moins nous les aymons. Il en ira comme des comedies, le peuple y aura autant ou plus de plaisir que les comediens. De moy, je ne connois non plus Venus sans Cupidon, qu'une maternité sans engeance Ce sont choses qui s'entreprestent et s'entredoivent leur essence. Ainsi cette piperie rejallit sur celuy qui la fait il ne luy couste guere, mais il n'acquiert aussi rien qui vaille. Ceux qui ont faict Venus Deesse, ont regardé que sa principale beauté estoit incorporelle et spirituelle. Mais celle que ces gens cy cerchent, n'est pas seulement humaine, ny mesme brutale les bestes ne la veulent si lourde et si terrestre. Nous voyons que l'imagination et le desir les eschauffe souvent et solicite, avant le corps nous voyons en l'un et l'autre sexe, qu'en la presse elles ont du choix et du triage en leurs affections, et qu'elles ont entre-elles des accointances de longue bien-vueillance. Celles mesmes à qui la vieillesse refuse la force corporelle, fremissent encores, hannissent et tressaillent d'amour. Nous les voyons avant le faict, pleines d'esperance et d'ardeur et quand le corps a joué son jeu, se chatouiller encor de la douceur de cette souvenance et en voyons qui s'enflent de fierté au partir de là , et qui en produisent des chants de feste et de triomphe, lasses et saoules Qui n'a qu'à descharger le corps d'une necessité naturelle, n'a que faire d'y embesongner autruy avec des apprests si curieux. Ce n'est pas viande à une grosse et lourde faim. Comme celuy qui ne demande point qu'on me tienne pour meilleur que je suis, je diray cecy des erreurs de ma jeunesse Non seulement pour le danger qu'il y a de la santé, si n'ay-je sceu si bien faire, que je n'en aye eu deux atteintes, legeres toutesfois, et preambulaires mais encores par mespris, je ne me suis guere adonné aux accointances venales et publiques. J'ay voulu aiguiser ce plaisir par la difficulté, par le desir et par quelque gloire Et aymois la façon de l'Empereur Tibere, qui se prenoit en ses amours, autant par la modestie et noblesse, que par autre qualité Et l'humeur de la courtisane Flora, qui ne se prestoit à moins, que d'un Dictateur, ou Consul, ou Censeur et prenoit son deduit, en la dignité de ses amoureux Certes les perles et le brocadel y conferent quelque chose et les tiltres, et le train. Au demeurant, je faisois grand compte de l'esprit, mais pourveu que le corps n'en fust pas à dire Car à respondre en conscience, si l'une ou l'autre des deux beautez devoit necessairement y faillir, j'eusse choisi de quitter plustost la spirituelle Elle a son usage en meilleures choses Mais au subject de l'amour, subject qui principallement se rapporte à la veuà et à l'atouchement, on faict quelque chose sans les graces de l'esprit, rien sans les graces corporelles. C'est le vray advantage des dames que la beauté elle est si leur, que la nostre, quoy qu'elle desire des traicts un peu autres, n'est en son point, que confuse avec la leur, puerile et imberbe. On dit que chez le grand Seigneur, ceux qui le servent sous titre de beauté, qui sont en nombre infini, ont leur congé, au plus loing, à vingt et deux ans. Les discours, la prudence, et les offices d'amitié, se trouvent mieux chez les hommes pourtant gouvernent-ils les affaires du monde. Ces deux commerces sont fortuites, et despendans d'autruy l'un est ennuyeux par sa rareté, l'autre se flestrit avec l'aage ainsin ils n'eussent pas assez prouveu au besoing de ma vie. Celuy des livres, qui est le troisiesme ; est bien plus seur et plus à nous. Il cede aux premiers, les autres advantages mais il a pour sa part la constance et facilité de son service Cettuy-cy costoye tout mon cours, et m'assiste par tout il me console en la vieillesse et en la solitude il me descharge du poix d'une oisiveté ennuyeuse et me deffait à toute heure des compagnies qui me faschent il emousse les pointures de la douleur, si elle n'est du tout extreme et maistresse Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres, ils me destournent facilement à eux, et me la desrobent Et si ne se mutinent point, pour voir que je ne les recherche, qu'au deffaut de ces autres commoditez, plus reelles, vives et naturelles ils me reçoivent tousjours de mesme visage. Il a bel aller à pied, dit-on, qui meine son cheval par la bride Et nostre Jacques Roy de Naples, et de Sicile, qui beau, jeune, et sain, se faisoit porter par pays en civiere, couché sur un meschant oriller de plume, vestu d'une robe de drap gris, et un bonnet de mesme suivy ce pendant d'une grande pompe royalle, lictieres, chevaux à main de toutes sortes, gentils-hommes et officiers representoit une austerité tendre encores et chancellante. Le malade n'est pas à plaindre, qui a la guarison en sa manche. En l'experience et usage de cette sentence, qui est tres-veritable, consiste tout le fruict que je tire des livres. Je ne m'en sers en effect, quasi non plus que ceux qui ne les cognoissent poinct J'en jouys, comme les avaritieux des tresors, pour sçavoir que j'en jouyray quand il me plaira mon ame se rassasie et contente de ce droict de possession. Je ne voyage sans livres, ny en paix, ny en guerre. Toutesfois il se passera plusieurs jours, et des mois, sans que je les employe Ce sera tantost, dis-je, ou demain, ou quand il me plaira le temps court et s'en va ce pendant sans me blesser. Car il ne se peut dire, combien je me repose et sejourne en cette consideration, qu'ils sont à mon costé pour me donner du plaisir à mon heure et à reconnoistre, combien ils portent de secours à ma vie C'est la meilleure munition que j'aye trouvé à cet humain voyage et plains extremement les hommes d'entendement, qui l'ont à dire. J'accepte plustost toute autre sorte d'amusement, pour leger qu'il soit d'autant que cettuy-cy ne me peut faillir. Chez moy, je me destourne un peu plus souvent à ma librairie, d'où, tout d'une main, je commande mon mesnage Je suis sur l'entree ; et vois soubs moy, mon jardin, ma basse cour, ma cour, et dans la plus part des membres de ma maison. Là je feuillette à cette heure un livre, a cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pieces descousues Tantost je resve, tantost j'enregistre et dicte, en me promenant, mes songes que voicy. Elle est au troisiesme estage d'une tour. Le premier, c'est ma chapelle, le second une chambre et sa suitte, où je me couche souvent, pour estre seul. Au dessus, elle a une grande garderobe. C'estoit au temps passé, le lieu plus inutile de ma maison. Je passe là et la plus part des jours de ma vie, et la plus part des heures du jour. Je n'y suis jamais la nuict. A sa suitte est un cabinet assez poly, capable à recevoir du feu pour l'hyver, tres-plaisamment percé. Et si je ne craignoy non plus le soing que la despense, le soing qui me chasse de toute besongne j'y pourroy facilement coudre à chasque costé une gallerie de cent pas de long, et douze de large, à plein pied ayant trouvé tous les murs montez, pour autre usage, à la hauteur qu'il me faut. Tout lieu retiré requiert un proumenoir. Mes pensees dorment, si je les assis. Mon esprit ne va pas seul, comme si les jambes l'agitent. Ceux qui estudient sans livre, en sont tous là . La figure en est ronde, et n'a de plat, que ce qu'il faut à ma table et à mon siege et vient m'offrant en se courbant, d'une veuÃ, tous mes livres, rengez sur des pulpitres à cinq degrez tout à l'environ. Elle a trois veuÃs de riche et libre prospect, et seize pas de vuide en diametre. En hyver j'y suis moins continuellement car ma maison est juchee sur un tertre, comme dit son nom et n'a point de piece plus eventee que cette cy qui me plaist d'estre un peu penible et à l'esquart, tant pour le fruit de l'exercice, que pour reculer de moy la presse. C'est là mon siege. J'essaye à m'en rendre la domination pure et à soustraire ce seul coing, à la communauté et conjugale, et filiale, et civile. Par tout ailleurs je n'ay qu'une auctorité verbale en essence, confuse. Miserable à mon gré, qui n'a chez soy, où estre à soy où se faire particulierement la cour où se cacher. L'ambition paye bien ses gents, de les tenir tousjours en montre, comme la statue d'un marché. Magna servitus est magna fortuna. Ils n'ont pas seulement leur retraict pour retraitte. Je n'ay rien jugé de si rude en l'austerité de vie, que nos religieux affectent, que ce que je voy en quelqu'une de leurs compagnies, avoir pour regle une perpetuelle societé de lieu et assistance nombreuse entre eux, en quelque action que ce soit. Et trouve aucunement plus supportable, d'estre tousjours seul, que ne le pouvoir jamais estre. Si quelqu'un me dit, que c'est avillir les muses, de s'en servir seulement de jouet, et de passetemps, il ne sçait pas comme moy, combien vaut le plaisir, le jeu et le passetemps à peine que je ne die toute autre fin estre ridicule. Je vis du jour à la journee, et parlant en reverence, ne vis que pour moy mes desseins se terminent là . J'estudiay jeune pour l'ostentation ; depuis, un peu pour m'assagir à cette heure pour m'esbatre jamais pour le quest. Une humeur vaine et despensiere que j'avois, apres cette sorte de meuble non pour en prouvoir seulement mon besoing, mais de trois pas au dela, pour m'en tapisser et parer je l'ay pieça abandonnee. Les livres ont beaucoup de qualitez aggreables à ceux qui les sçavent choisir Mais aucun bien sans peine C'est un plaisir qui n'est pas net et pur, non plus que les autres il a ses incommoditez, et bien poisantes L'ame s'y exerce, mais le corps, duquel je n'ay non plus oublié le soing, demeure ce pendant sans action, s'atterre et s'attriste. Je ne sçache excez plus dommageable pour moy, ny plus à eviter, en cette declinaison d'aage. Voyla mes trois occupations favories et particulieres Je ne parle point de celles que je doibs au monde par obligation civile. Table des matières Chapitre précédentChapitre suivant CHAPITRE IV De la diversion J'AY autresfois esté employé à consoler une dame vrayement affligee La plus part de leurs devis sont artificiels et ceremonieux. Uberibus semper lacrymis, sempérque paratis, In statione sua, atque expectantibus illam Quo jubeat manare modo. On y procede mal, quand on s'oppose à cette passion car l'opposition les pique et les engage plus avant à la tristesse On exaspere le mal par la jalousie du debat. Nous voyons des propos communs, que ce que j'auray dit sans soing, si on vient à me le contester, je m'en formalise, je l'espouse beaucoup plus ce à quoy j'aurois interest. Et puis en ce faisant, vous vous presentez à vostre operation d'une entree rude là où les premiers accueils du medecin envers son patient, doivent estre gracieux, gays, et aggreables. Jamais medecin laid, et rechigné n'y fit oeuvre. Au contraire doncq, il faut ayder d'arrivee et favoriser leur plaincte, et en tesmoigner quelque approbation et excuse. Par cette intelligence, vous gaignez credit à passer outre, et d'une facile et insensible inclination, vous vous coulez aux discours plus fermes et propres à leur guerison. Moy, qui ne desirois principalement que de piper l'assistance, qui avoit les yeux sur moy, m'advisay de plastrer le mal. Aussi me trouve-je par experience, avoir mauvaise main et infructueuse à persuader. Ou je presente mes raisons trop pointues et trop seiches ou trop brusquement ou trop nonchalamment. Apres que je me fus appliqué un temps à son tourment, je n'essayay pas de le guarir par fortes et vives raisons par ce que j'en ay faute, ou que je pensois autrement faire mieux mon effect Ny n'allay choisissant les diverses manieres, que la philosophie prescrit à consoler Que ce qu'on plaint n'est pas mal, comme Cleanthes Que c'est un leger mal, comme les Peripateticiens Que ce plaindre n'est action, ny juste, ny loüable, comme Chrysippus Ny cette cy d'Epicurus, plus voisine à mon style, de transferer la pensee des choses fascheuses aux plaisantes Ny faire une charge de tout cet amas, le dispensant par occasion, comme Cicero. Mais declinant tout mollement noz propos, et les gauchissant peu à peu, aux subjects plus voysins, et puis un peu plus eslongnez, selon qu'elle se prestoit plus à moy, je luy desrobay imperceptiblement cette pensee douloureuse et la tins en bonne contenance et du tout r'apaisee antant que j'y fus. J'usay de diversion. Ceux qui me suyvirent à ce mesme service, n'y trouverent aucun amendement car je n'avois pas porté la coignee aux racines. A l'adventure ay-je touché ailleurs quelque espece de diversions publiques. Et l'usage des militaires, dequoy se servit Pericles en la guerre Peloponnesiaque et mille autres ailleurs, pour revoquer de leurs païs les forces contraires, est trop frequent aux histoires. Ce fut un ingenieux destour, dequoy le Sieur d'Himbercourt sauva et soy et d'autres, en la ville du Liege où le Duc de Bourgongne, qui la tenoit assiegee, l'avoit fait entrer, pour executer les convenances de leur reddition accordee. Ce peuple assemblé de nuict pour y pourvoir, commence à se mutiner contre ces accords passez et delibererent plusieurs, de courre sus aux negociateurs, qu'ils tenoient en leur puissance. Luy, sentant le vent de la premiere ondee de ces gens, qui venoient se ruer en son logis, lascha soudain vers eux, deux des habitans de la ville, car il y en avoit aucuns avec luy chargez de plus douces et nouvelles offres, à proposer en leur conseil, qu'il avoit forgees sur le champ pour son besoing. Ces deux arresterent la premiere tempeste, ramenant cette tourbe esmeüe en la maison de ville, pour ouyr leur charge, et y deliberer. La deliberation fut courte Voicy desbonder un second orage, autant animé que l'autre et luy à leur despecher en teste, quatre nouveaux et semblables intercesseurs, protestans avoir à leur declarer à ce coup, des presentations plus grasses, du tout à leur contentement et satisfaction par où ce peuple fut de rechef repoussé dans le conclave. Somme, que par telle dispensation d'amusemens, divertissant leur furie, et la dissipant en vaines consultations, il l'endormit en fin, et gaigna le jour, qui estoit son principal affaire. Cet autre comte est aussi de ce predicament. Atalante fille de beauté excellente, et de merveilleuse disposition, pour se deffaire de la presse de mille poursuivants, qui la demandoient en mariage, leur donna cette loy, qu'elle accepteroit celuy qui l'egalleroit à la course, pourveu que ceux qui y faudroient, en perdissent la vie Il s'en trouva assez, qui estimerent ce prix digne d'un tel hazard, et qui encoururent la peine de ce cruel marché. Hippomenes ayant à faire son essay apres les autres, s'adressa à la deesse tutrice de cette amoureuse ardeur, l'appellant à son secours qui exauçant sa priere, le fournit de trois pommes d'or, et de leur usage. Le champ de la course ouvert, à mesure qu'Hippomenes sent sa maistresse luy presser les talons, il laisse eschapper, comme par inadvertance, l'une de ces pommes la fille amusee de sa beauté, ne faut point de se destourner pour l'amasser Obstupuit virgo, nitidique cupidine pomi Declinat cursus, aurúmque volubile tollit Autant en fit-il à son poinct, et de la seconde et de la tierce jusques à ce que par ce fourvoyement et divertissement, l'advantage de la course luy demeura. Quand les medecins ne peuvent purger le caterrhe, ils le divertissent, et desvoyent à une autre partie moins dangereuse. Je m'apperçoy que c'est aussi la plus ordinaire recepte aux maladies de l'ame. Abducendus etiam nonnunquam animus est ad alia studia, solicitudines, curas, negotia Loci denique mutatione, tanquam ægroti non convalescentes, sæpe curandus est. On luy fait peu choquer les maux de droit fil on ne luy en fait ny soustenir ny rabatre l'atteinte on la luy fait decliner et gauchir. Cette autre leçon est trop haute et trop difficile. C'est à faire à ceux de la premiere classe, de s'arrester purement à la chose, la considerer, la juger. Il appartient à un seul Socrates, d'accointer la mort d'un visage ordinaire, s'en apprivoiser et s'en jouer Il ne cherche point de consolation hors de la chose le mourir luy semble accident naturel et indifferent il fiche là justement sa veuÃ, et s'y resoult, sans regarder ailleurs. Les disciples d'Hegesias, qui se font mourir de faim, eschauffez des beaux discours de ses leçons, et si dru que le Roy Ptolomee luy fit defendre de plus entretenir son eschole de ces homicides discours. Ceux là ne considerent point la mort en soy, ils ne la jugent point ce n'est pas là où ils arrestent leur pensee ils courent, ils visent à un estre nouveau. Ces pauvres gens qu'on void sur l'eschaffaut, remplis d'une ardente devotion, y occupants tous leurs sens autant qu'ils peuvent les aureilles aux instructions qu'on leur donne ; les yeux et les mains tendues au ciel la voix à des prieres hautes, avec une esmotion aspre et continuelle, font certes chose louable et convenable à une telle necessité. On les doibt louer de religion mais non proprement de constance. Ils fuyent la lucte ils destournent de la mort leur consideration comme on amuse les enfans pendant qu'on leur veut donner le coup de lancette. J'en ay veu, si par fois leur veuà se ravaloit à ces horribles aprests de la mort, qui sont autour d'eux, s'en transir, et rejetter avec furie ailleurs leur pensee. A ceux qui passent une profondeur effroyable, on ordonne de clorre ou destourner leurs yeux. Subrius Flavius, ayant par le commandement de Neron, à estre deffaict, et par les mains de Niger, tous deux chefs de guerre quand on le mena au champ, où l'execution devoit estre faicte, voyant le trou que Niger avoit fait caver pour le mettre, inegal et mal formé Ny cela, mesme, dit-il, se tournant aux soldats qui y assistoyent, n'est selon la discipline militaire. Et à Niger, qui l'exhortoit de tenir la teste ferme Frapasses tu seulement aussi ferme. Et devina bien car le bras tremblant à Niger, il la luy coupa à divers coups. Cettuy-cy semble bien avoir eu sa pensee droittement et fixement au subject. Celuy qui meurt en la meslee, les armes à la main, il n'estudie pas lors la mort, il ne la sent, ny ne la considere l'ardeur du combat l'emporte. Un honneste homme de ma cognoissance, estant tombé comme il se batoit en estocade, et se sentant daguer à terre par son ennemy de neuf ou dix coups, chacun des assistans luy crioit qu'il pensast à sa conscience, mais il me dit depuis, qu'encores que ces voix luy vinssent aux oreilles, elles ne l'avoient aucunement touché, et qu'il ne pensa jamais qu'à se descharger et à se venger. Il tua son homme en ce mesme combat. Beaucoup fit pour L. Syllanus, celuy qui luy apporta sa condamnation de ce qu'ayant ouy sa response, qu'il estoit bien preparé à mourir, mais non pas de mains scelerees il se rua sur luy, avec ses soldats pour le forcer et comme luy tout desarmé, se defendoit obstinement de poingts et de pieds, il le fit mourir en ce debat dissipant en prompte cholere et tumultuaire, le sentiment penible d'une mort longue et preparee, à quoy il estoit destiné. Nous pensons tousjours ailleurs l'esperance d'une meilleure vie nous arreste et appuye ou l'esperance de la valeur de nos enfans ou la gloire future de nostre nom ou la fuitte des maux de cette vie ou la vengeance qui menasse ceux qui nous causent la mort Spero equidem mediis, si quid pia numina possunt, Supplicia hausurum scopulis, et nomine Dido Sæpe vocaturum. Audiam, Et hæc manes veniet mihi fama sub imos. Xenophon sacrifioit couronné quand on luy vint annoncer la mort de son fils Gryllus, en la bataille de Mantinee. Au premier sentiment de cette nouvelle, il jetta sa couronne à terre mais par la suitte du propos, entendant la forme d'une mort tres-valeureuse, il l'amassa, et remit sur sa teste. Epicurus mesme se console en sa fin, sur l'eternité et l'utilité de ses escrits. Omnes clari et nobilitati labores, fiunt tolerabiles. Et la mesme playe, le mesme travail, ne poise pas, dit Xenophon, à un general d'armee, comme à un soldat. Epaminondas print sa mort bien plus alaigrement, ayant esté informé, que la victoire estoit demeuree de son costé. Hæc sunt solatia, hæc fomenta summorum dolorum. Et telles autres circonstances nous amusent, divertissent et destournent de la consideration de la chose en soy. Voire les arguments de la Philosophie, vont à touts coups costoyans et gauchissans la matiere, et à peine essuyans sa crouste. Le premier homme de la premiere eschole Philosophique, et surintendante des autres, ce grand Zenon, contre la mort Nul mal n'est honorable la mort l'est elle n'est pas donc mal. Contre l'yvrongnerie Nul ne fie son secret à l'yvrongne chacun le fie au sage le sage ne sera donc pas yvrongne. Cela est-ce donner au blanc ? J'ayme à veoir ces ames principales, ne se pouvoir desprendre de nostre consorce. Tant parfaicts hommes qu'ils soyent, ce sont tousjours bien lourdement des hommes. C'est une douce passion que la vengeance, de grande impression et naturelle je le voy bien, encore que je n'en aye aucune experience. Pour en distraire dernierement un jeune Prince, je ne luy allois pas disant, qu'il falloit prester la jouà à celuy qui vous avoit frappé l'autre, pour le devoir de charité ny ne luy allois representer les tragiques evenements que la poÃsie attribue à cette passion. Je la laissay là , et m'amusay à luy faire gouster la beauté d'une image contraire l'honneur, la faveur, la bien-vueillance qu'il acquerroit par clemence et bonté je le destournay à l'ambition. Voyla comme lon en faict. Si vostre affection en l'amour est trop puissante, dissipez la, disent-ils Et disent vray, car je l'ay souvent essayé avec utilité Rompez la à divers desirs, desquels il y en ayt un regent et un maistre, si vous voulez, mais de peur qu'il ne vous gourmande et tyrannise, affoiblissez-le, sejournez-le, en le divisant et divertissant. Cum morosa vago singultiet inguine vena, Conjicito humorem collectum in corpora quæque. Et pourvoyez y de bonne heure, de peur que vous n'en soyez en peine, s'il vous a une fois saisi. Si non prima novis conturbes vulnera plagis, Volgivagáque vagus Venere ante recentia cures. Je fus autrefois touché d'un puissant desplaisir, selon ma complexion et encores plus juste que puissant je m'y fusse perdu à l'adventure, si je m'en fusse simplement fié à mes forces. Ayant besoing d'une vehemente diversion pour m'en distraire, je me fis par art amoureux et par estude à quoy l'aage m'aydoit L'amour me soulagea et retira du mal, qui m'estoit causé par l'amitié. Par tout ailleurs de mesme Une aigre imagination me tient je trouve plus court, que de la dompter, la changer je luy en substitue, si je ne puis une contraire, aumoins un'autre Tousjours la variation soulage, dissout et dissipe Si je ne puis la combatre, je luy eschappe et en la fuïant, je fourvoye, je ruse Muant de lieu, d'occupation, de compagnie, je me sauve dans la presse d'autres amusemens et pensees, où elle perd ma trace, et m'esgare. Nature procede ainsi, par le benefice de l'inconstance Car le temps qu'elle nous a donné pour souverain medecin de nos passions, gaigne son effect principalement par là , que fournissant autres et autres affaires à nostre imagination, il demesle et corrompt cette premiere apprehension, pour forte qu'elle soit. Un sage ne voit guere moins, son amy mourant, au bout de vingt et cinq ans, qu'au premier an ; et suivant Epicurus, de rien moins car il n'attribuoit aucun leniment des fascheries, ny à la prevoyance, ny à l'antiquité d'icelles. Mais tant d'autres cogitations traversent cette-cy, qu'elle s'alanguit, et se lasse en fin. Pour destourner l'inclination des bruits communs, Alcibiades couppa les oreilles et la queuà à son beau chien, et le chassa en la place afin que donnant ce subject pour babiller au peuple, il laissast en paix ses autres actions. J'ay veu aussi, pour cet effect de divertir les opinions et conjectures du peuple, et desvoyer les parleurs, des femmes, couvrir leur vrayes affections, par des affections contrefaictes. Mais j'en ay veu telle, qui en se contrefaisant s'est laissee prendre à bon escient, et a quitté la vraye et originelle affection pour la feinte Et aprins par elle, que ceux qui se trouvent bien logez, sont des sots de consentir à ce masque. Les accueils et entretiens publiques estans reservez à ce serviteur aposté, croyez qu'il n'est guere habile, s'il ne se met en fin en vostre place, et vous envoye en la sienne Cela c'est proprement tailler et coudre un soulier, pour qu'un autre le chausse. Peu de chose nous divertit et destourne car peu de chose nous tient. Nous ne regardons gueres les subjects en gros et seuls. ce sont des circonstances ou des images menues et superficielles qui nous frappent et des vaines escorces qui rejallissent des subjects. Folliculos ut nunc teretes æstate cicadæ Linquunt. Plutarque mesme regrette sa fille par des singeries de son enfance. Le souvenir d'un adieu, d'une action, d'une grace particuliere, d'une recommandation derniere, nous afflige. La robe de Cæsar troubla toute Romme, ce que sa mort n'avoit pas faict. Le son mesme des noms, qui nous tintoüine aux oreilles Mon pauvre maistre, ou mon grand amy helas mon cher pere, ou ma bonne fille. Quand ces redites me pinsent, et que j'y regarde de pres, je trouve que c'est une pleinte grammairiene, le mot et le ton me blesse. Comme les exclamations des prescheurs, esmouvent leur auditoire souvent, plus que ne font leurs raisons et comme nous frappe la voix piteuse d'une beste qu'on tue pour nostre service sans que je poise ou penetre ce pendant, la vraye essence et massive de mon subject. his se stimulis dolor ipse lacessit. Ce sont les fondemens de nostre deuil. L'opiniastreté de mes pierres, specialement en la verge, m'a par fois jetté en longues suppressions d'urine, de trois, de quatre jours et si avant en la mort, que c'eust esté follie d'esperer l'eviter, voyre desirer, veu les cruels efforts que cet estat m'apporte. O que ce bon Empereur, qui faisoit lier la verge à ses criminels, pour les faire mourir à faute de pisser, estoit grand maistre en la science de bourrellerie ! Me trouvant là , je consideroy par combien legeres causes et objects, l'imagination nourrissoit en moy le regret de la vie de quels atomes se bastissoit en mon ame, le poids et la difficulté de ce deslogement à combien frivoles pensees nous donnions place en un si grand affaire. Un chien, un cheval, un livre, un verre, et quoy non ? tenoient compte en ma perte. Aux autres, leurs ambitieuses esperances, leur bourse, leur science, non moins sottement à mon gré. Je voy nonchalamment la mort, quand je la voy universellement, comme fin de la vie. Je la gourmande en bloc par le menu, elle me pille. Les larmes d'un laquais, la dispensation de ma desferre, l'attouchement d'une main cognue, une consolation commune, me desconsole et m'attendrit. Ainsi nous troublent l'ame, les plaintes des fables et les regrets de Didon, et d'Ariadné passionnent ceux mesmes qui ne les croyent point en Virgile et en Catulle c'est une exemple de nature obstinee et dure, n'en sentir aucune emotion comme on recite, pour miracle, de Polemon mais aussi ne pallit il pas seulement à la morsure d'un chien enragé, qui luy emporta le gras de la jambe. Et nulle sagesse ne va si avant, de concevoir la cause d'une tristesse, si vive et entiere, par jugement, qu'elle ne souffre accession par la presence, quand les yeux et les oreilles y ont leur part parties qui ne peuvent estre agitees que par vains accidens. Est ce raison que les arts mesmes se servent et facent leur proufit, de nostre imbecillité et bestise naturelle ? L'Orateur, dit la Rhetorique, en cette farce de son plaidoier, s'esmouvera par le son de sa voix, et par ses agitations feintes ; et se lairra piper à la passion qu'il represente Il s'imprimera un vray deuil et essentiel, par le moyen de ce battelage qu'il jouÃ, pour le transmettre aux juges, à qui il touche encore moins Comme font ces personnes qu'on loüe aux mortuaires, pour ayder à la ceremonie du deuil, qui vendent leurs larmes à poix et à mesure, et leur tristesse. Car encore qu'ils s'esbranlent en forme empruntee, toutesfois en habituant et rengeant la contenance, il est certain qu'ils s'emportent souvent tous entiers, et reçoivent en eux une vraye melancholie. Je fus entre plusieurs autres de ses amis, conduire à Soissons le corps de monsieur de Grammont, du siege de la Fere, où il fut tué Je consideray que par tout où nous passions, nous remplissions de lamentation et de pleurs, le peuple que nous rencontrions, par la seule montre de l'appareil de nostre convoy car seulement le nom du trespassé n'y estoit pas cogneu. Quintilian dit avoir veu des Comediens si fort engagez en un rolle de deuil, qu'ils en pleuroient encore au logis et de soy mesme, qu'ayant prins à esmouvoir quelque passion en autruy, il l'avoit espousee, jusques à se trouver surprins, non seulement de larmes, mais d'une palleur de visage et port d'homme vrayement accablé de douleur. En une contree pres de nos montaignes, les femmes font le prestre-martin car comme elles agrandissent le regret du mary perdu, par la souvenance des bonnes et agreables conditions qu'il avoit, elles font tout d'un train aussi recueil et publient ses imperfections comme pour entrer d'elles mesmes en quelque compensation, et se divertir de la pitié au desdain. De bien meilleure grace encore que nous, qui à la perte du premier cognu, nous piquons à luy presser des louanges nouvelles et fauces et à le faire tout autre, quand nous l'avons perdu de veuÃ, qu'il ne nous sembloit estre, quand nous le voyions Comme si le regret estoit une partie instructive ou que les larmes en lavant nostre entendement, l'esclaircissent. Je renonce dés à present aux favorables tesmoignages, qu'on me voudra donner, non par ce que j'en seray digne, mais par ce que je seray mort. Qui demandera à celuy là , Quel interest avez vous à ce siege ? L'interest de l'exemple, dira-il, et de l'obeyssance commune du Prince je n'y pretens proffit quelconque et de gloire, je sça
Ilest dans l'eau mais il craint l'eau. Posté par Leo le 12/04/2020 à 16:57:47. Il est dans l'eau mais il craint l'eau. Il renaît au soleil mais sur la peau il mord. Il ne vaut presque rien mais vaut plus que l'or. De quoi s'agit-il ? Posté par camille le le 12/04/2020 à 16:58:49 . Le Sel Ajouter une réponse
Michel de MONTAIGNE LES ESSAIS - Livre III Version HTML d'après l'édition de 1595 Table des matières du livre III Chapitre I De l'utile et de l'honeste Chapitre II Du repentir Chapitre III De trois commerces Chapitre IV De la diversion Chapitre V Sur des vers de Virgile Chapitre VI Des coches Chapitre VII De l'incommodité de la grandeur Chapitre VIII De l'art de conferer Chapitre IX De la vanité Chapitre X De mesnager sa volonté Chapitre XI Des boyteux Chapitre XII De la physionomie Chapitre XIII De l'experience Table des matières Chapitre précédent Chapitre suivant CHAPITRE I De l'utile et de l'honeste PERSONNE n'est exempt de dire des fadaises le malheur est, de les dire curieusement Næ iste magno conatu magnas nugas dixerit. Cela ne me touche pas ; les miennes m'eschappent aussi nonchallamment qu'elles le valent D'où bien leur prend Je les quitterois soudain, à peu de coust qu'il y eust Et ne les achette, ny ne les vends, que ce qu'elles poisent Je parle au papier, comme je parle au premier que je rencontre Qu'il soit vray, voicy dequoy. A qui ne doit estre la perfidie detestable, puis que Tybere la refusa à si grand interest ? On luy manda d'Allemaigne, que s'il le trouvoit bon, on le defferoit d'Ariminius par poison. C'estoit le plus puissant ennemy que les Romains eussent, qui les avoit si vilainement traictez soubs Varus, et qui seul empeschoit l'accroissement de sa domination en ces contrees là . Il fit responce, que le peuple Romain avoit accoustumé de se venger de ses ennemis par voye ouverte, les armes en main, non par fraude et en cachette il quitta l'utile pour l'honeste. C'estoit me direz vous un affronteur. Je le croy ce n'est pas grand miracle, à gens de sa profession. Mais la confession de la vertu, ne porte pas moins en la bouche de celuy qui la hayt d'autant que la verité la luy arrache par force, et que s'il ne la veult recevoir en soy, aumoins il s'en couvre, pour s'en parer. Nostre bastiment et public et privé, est plein d'imperfection mais il n'y a rien d'inutile en nature, non pas l'inutilité mesmes, rien ne s'est ingeré en cet univers, qui n'y tienne place opportune. Nostre estre est simenté de qualitez maladives l'ambition, la jalousie, l'envie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d'une si naturelle possession, que l'image s'en recognoist aussi aux bestes Voire et la cruauté, vice si desnaturé car au milieu de la compassion, nous sentons au dedans, je ne sçay quelle aigre-douce poincte de volupté maligne, à voir souffrir autruy et les enfans la sentent Suave mari magno turbantibus æquora ventis, E terra magnum alterius spectare laborem. Desquelles qualitez, qui osteroit les semences en l'homme, destruiroit les fondamentales conditions de nostre vie De mesme, en toute police il y a des offices necessaires, non seulement abjects, mais encores vicieux Les vices y trouvent leur rang, et s'employent à la cousture de nostre liaison comme les venins à la conservation de nostre santé. S'ils deviennent excusables, d'autant qu'ils nous font besoing, et que la necessité commune efface leur vraye qualité il faut laisser jouer cette partie, aux citoyens plus vigoureux, et moins craintifs, qui sacrifient leur honneur et leur conscience, comme ces autres anciens sacrifierent leur vie, pour le salut de leur pays Nous autres plus foibles prenons des rolles et plus aysez et moins hazardeux Le bien public requiert qu'on trahisse, et qu'on mente, et qu'on massacre resignons cette commission à gens plus obeissans et plus soupples. Certes j'ay eu souvent despit, de voir des juges, attirer par fraude et fauces esperances de faveur ou pardon, le criminel à descouvrir son fait, et y employer la piperie et l'impudence Il serviroit bien à la justice, et à Platon mesme, qui favorise cet usage, de me fournir d'autres moyens plus selon moy. C'est une justice malicieuse et ne l'estime pas moins blessee par soy-mesme, que par autruy. Je respondy, n'y a pas long temps, qu'à peine trahirois-je le Prince pour un particulier, qui serois tres-marry de trahir aucun particulier, pour le Prince Et ne hay pas seulement à piper, mais je hay aussi qu'on se pipe en moy je n'y veux pas seulement fournir de matiere et d'occasion. En ce peu que j'ay eu à negocier entre nos Princes, en ces divisions, et subdivisions, qui nous deschirent aujourd'huy j'ay curieusement evité, qu'ils se mesprinssent en moy, et s'enferrassent en mon masque. Les gens du mestier se tiennent les plus couverts, et se presentent et contrefont les plus moyens, et les plus voysins qu'ils peuvent moy, je m'offre par mes opinions les plus vives, et par la forme plus mienne Tendre negotiateur et novice qui ayme mieux faillir à l'affaire, qu'à moy. C'a esté pourtant jusques à cette heure, avec tel heur, car certes fortune y a la principalle part que peu ont passé demain à autre, avec moins de soupçon, plus de faveur et de privauté. J'ay une façon ouverte, aisee à s'insinuer, et à se donner credit, aux premieres accointances. La naifveté et la verité pure, en quelque siecle que ce soit, trouvent encore leur opportunité et leur mise. Et puis de ceux-là est la liberté peu suspecte, et peu odieuse, qui besongnent sans aucun leur interest Et peuvent veritablement employer la responce de Hipperides aux Atheniens, se plaignans de l'aspreté de son parler Messieurs, ne considerez pas si je suis libre, mais si je le suis, sans rien prendre, et sans amender par là mes affaires. Ma liberté m'a aussi aiséement deschargé du soupçon de faintise, par sa vigueur n'espargnant rien à dire pour poisant et cuisant qu'il fust je n'eusse peu dire pis absent et en ce, qu'elle a une montre apparente de simplesse et de nonchalance Je ne pretens autre fruict en agissant, que d'agir, et n'y attache longues suittes et propositions Chasque action fait particulierement son jeu porte s'il peut. Au demeurant, je ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou amoureuse, envers les grands ny n'ay ma volonté garrotee d'offence, ou d'obligation particuliere. Je regarde nos Roys d'une affection simplement legitime et civile, ny emeuà ny demeuà par interest privé, dequoy je me sçay bon gré. La cause generale et juste ne m'attache non plus, que moderément et sans fiévre. Je ne suis pas subjet à ces hypoteques et engagemens penetrans et intimes La colere et la hayne sont au delà du devoir de la justice et sont passions servans seulement à ceux, qui ne tiennent pas assez à leur devoir, par la raison simple Utatur motu animi, qui uti ratione non potest. Toutes intentions legitimes sont d'elles mesmes temperees sinon, elles s'alterent en seditieuses et illegitimes. C'est ce qui me faict marcher par tout, la teste haute, le visage, et le coeur ouvert. A la verité, et ne crains point de l'advouer, je porterois facilement au besoing, une chandelle à Sainct Michel, l'autre à son serpent, suivant le dessein de la vieille Je suivray le bon party jusques au feu, mais exclusivement si je puis Que Montaigne s'engouffre quant et la ruyne publique, si besoing est mais s'il n'est pas besoing, je sçauray bon gré à la fortune qu'il se sauve et autant que mon devoir me donne de corde, je l'employe à sa conservation. Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au juste party, et au party qui perdit, se sauva par sa moderation, en cet universel naufrage du monde, parmy tant de mutations et diversitez ? Aux hommes, comme luy privez, il est plus aisé Et en telle sorte de besongne, je trouve qu'on peut justement n'estre pas ambitieux à s'ingerer et convier soy-mesmes De se tenir chancelant et mestis, de tenir son affection immobile, et sans inclination aux troubles de son pays, et en une division publique, je ne le trouve ny beau, ny honneste Ea non media, sed nulla via est, velut eventum expectantium, quo fortunæ consilia sua applicent. Cela peut estre permis envers les affaires des voysins et Gelon tyran de Syracuse, suspendoit ainsi son inclination en la guerre des Barbares contre les Grecs ; tenant une Ambassade à Delphes, avec des presents pour estre en eschauguette, à veoir de quel costé tomberoit la fortune, et prendre l'occasion à poinct, pour le concilier aux victorieux. Ce seroit une espece de trahison, de le faire aux propres et domestiques affaires, ausquels necessairement il faut prendre party mais de ne s'embesongner point, à homme qui n'a ny charge, ny commandement exprez qui le presse, je le trouve plus excusable et si ne practique pour moy cette excuse qu'aux guerres estrangeres desquelles pourtant, selon nos loix, ne s'empesche qui ne veut. Toutesfois ceux encore qui s'y engagent tout à faict, le peuvent, avec tel ordre et attrempance, que l'orage debvra couler par dessus leur teste, sans offence. N'avions nous pas raison de l'esperer ainsi du feu Evesque d'Orleans, sieur de Morvilliers ? Et j'en cognois entre ceux qui y ouvrent valeureusement à cette heure, de moeurs ou si equables, ou si douces, qu'ils seront, pour demeurer debout, quelque injurieuse mutation et cheute que le ciel nous appreste. Je tiens que c'est aux Roys proprement, de s'animer contre les Roys et me moque de ces esprits, qui de gayeté de coeur se presentent à querelles si disproportionnees Car on ne prend pas querelle particuliere avec un prince, pour marcher contre luy ouvertement et courageusement, pour son honneur, et selon son devoir s'il n'aime un tel personnage, il fait mieux, il l'estime. Et notamment la cause des loix, et defence de l'ancien estat, a tousjours cela, que ceux mesmes qui pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les defenseurs, s'ils ne les honorent. Mais il ne faut pas appeller devoir, comme nous faisons tous les jours, une aigreur et une intestine aspreté, qui naist de l'interest et passion privee, ny courage, une conduitte traistresse et malitieuse. Ils nomment zele, leur propension vers la malignité, et violence Ce n'est pas la cause qui les eschauffe, c'est leur interest Ils attisent la guerre, non par ce qu'elle est juste, mais par ce que c'est guerre. Rien n'empesche qu'on ne se puisse comporter commodément entre des hommes qui se sont ennemis, et loyalement conduisez vous y d'une, sinon par tout esgale affection car elle peut souffrir differentes mesures au moins temperee, et qui ne vous engage tant à l'un, qu'il puisse tout requerir de vous Et vous contentez aussi d'une moienne mesure de leur grace et de couler en eau trouble, sans y vouloir pescher. L'autre maniere de s'offrir de toute sa force aux uns et aux autres, a encore moins de prudence que de conscience. Celuy envers qui vous en trahissez un, duquel vous estes pareillement bien venu sçait-il pas, que de soy vous en faites autant à son tour ? Il vous tient pour un meschant homme ce pendant il vous oit, et tire de vous, et fait ses affaires de vostre desloyauté Car les hommes doubles sont utiles, en ce qu'ils apportent mais il se faut garder, qu'ils n'emportent que le moins qu'on peut. Je ne dis rien à l'un, que je ne puisse dire à l'autre, à son heure, l'accent seulement un peu changé et ne rapporte que les choses ou indifferentes, ou cogneuÃs, ou qui servent en commun. Il n'y a point d'utilité, pour laquelle je me permette de leur mentir. Ce qui a esté fié à mon silence, je le cele religieusement mais je prens à celer le moins que je puis C'est une importune garde, du secret des Princes, à qui n'en a que faire. Je presente volontiers ce marché, qu'ils me fient peu mais qu'ils se fient hardiment, de ce que je leur apporte J'en ay tousjours plus sceu que je n'ay voulu. Un parler ouvert, ouvre un autre parler, et le tire hors, comme fait le vin et l'amour. Philippides respondit sagement à mon gré, au Roy Lysimachus, qui luy disoit, Que veux-tu que je te communique de mes biens ? Ce que tu voudras, pourveu que ce ne soit de tes secrets. Je voy que chacun se mutine, si on luy cache le fonds des affaires ausquels on l'employe, et si on luy en a desrobé quelque arriere-sens Pour moy, je suis content qu'on ne m'en die non plus, qu'on veut que j'en mette en besoigne et ne desire pas, que ma science outrepasse et contraigne ma parole. Si je dois servir d'instrument de tromperie, que ce soit aumoins sauve ma conscience. Je ne veux estre tenu serviteur, ny si affectionné, ny si loyal, qu'on me treuve bon à trahir personne. Qui est infidelle à soy-mesme, l'est excusablement à son maistre. Mais ce sont Princes, qui n'acceptent pas les hommes à moytié, et mesprisent les services limitez et conditionnez. Il n'y a remede je leur dis franchement mes bornes car esclave, je ne le doibs estre que de la raison, encore n'en puis-je bien venir à bout. Et eux aussi ont tort, d'exiger d'un homme libre, telle subjection à leur service, et telle obligation, que de celuy, qu'ils ont faict et achetté ou duquel la fortune tient particulierement et expressement à la leur. Les loix m'ont osté de grand peine, elles m'ont choisi party, et donné un maistre toute autre superiorité et obligation doibt estre relative à celle-là , et retranchee. Si n'est-ce pas à dire, quand mon affection me porteroit autrement, qu'incontinent j'y portasse la main la volonté et les desirs se font loy eux mesmes, les actions ont à la recevoir de l'ordonnance publique. Tout ce mien proceder, est un peu bien dissonant à nos formes ce ne seroit pas pour produire grands effets, ny pour y durer l'innocence mesme ne sçauroit à cette heure ny negotier sans dissimulation, ny marchander sans menterie. Aussi ne sont aucunement de mon gibier, les occupations publiques ce que ma profession en requiert, je l'y fournis, en la forme que je puis la plus privee. Enfant, on m'y plongea jusques aux oreilles, et il succedoit si m'en desprins je de belle heure. J'ay souvent dépuis évité de m'en mesler, rarement accepté, jamais requis, tenant le dos tourné à l'ambition mais sinon comme les tireurs d'aviron, qui s'avancent ainsin à reculons tellement toutesfois, que de ne m'y estre poinct embarqué, j'en suis moins obligé à ma resolution, qu'à ma bonne fortune. Car il y a des voyes moins ennemyes de mon goust, et plus conformes à ma portee, par lesquelles si elle m'eust appellé autrefois au service public, et à mon avancement vers le credit du monde, je sçay que j'eusse passé par dessus la raison de mes discours, pour la suyvre. Ceux qui disent communement contre ma profession, que ce que j'appelle franchise, simplesse, et naifveté, en mes moeurs, c'est art et finesse et plustost prudence, que bonté industrie, que nature bon sens, que bon heur me font plus d'honneur qu'ils ne m'en ostent. Mais certes ils font ma finesse trop fine. Et qui m'aura suyvi et espié de pres, je luy donray gaigné, s'il ne confesse, qu'il n'y a point de regle en leur escole, qui sçeust rapporter ce naturel mouvement, et maintenir une apparence de liberté, et de licence, si pareille, et inflexible, parmy des routes si tortues et diverses et que toute leur attention et engin, ne les y sçauroit conduire. La voye de la verité est une et simple, celle du profit particulier, et de la commodité des affaires, qu'on a en charge, double, inegale, et fortuite. J'ay veu souvent en usage, ces libertez contrefaites, et artificielles, mais le plus souvent, sans succez. Elles sentent volontiers leur asne d'Esope lequel par emulation du chien, vint à se jetter tout gayement, à deux pieds, sur les espaules de son maistre mais autant que le chien recevoit de caresses, de pareille feste, le pauvre asne, en reçeut deux fois autant de bastonnades. Id maximè quemque decet, quod est cujusque suum maximè. Je ne veux pas priver la tromperie de son rang, ce seroit mal entendre le monde je sçay qu'elle a servy souvent profitablement, et qu'elle maintient et nourrit la plus part des vacations des hommes. Il y a des vices legitimes, comme plusieurs actions, ou bonnes, ou excusables, illegitimes. La justice en soy, naturelle et universelle, est autrement reglee, et plus noblement, que n'est cette autre justice speciale, nationale, contrainte au besoing de nos polices Veri juris germanæque justitiæ solidam et expressam effigiem nullam tenemus umbra et imaginibus utimur. Si que le sage Dandamys, oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras, Diogenes, les jugea grands personnages en toute autre chose, mais trop asservis à la reverence des loix Pour lesquelles auctoriser, et seconder, la vraye vertu a beaucoup à se desmettre de sa vigueur originelle et non seulement par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu, mais encores à leur suasion. Ex Senatusconsultis plebisque scitis scelera exercentur. Je suy le langage commun, qui fait difference entre les choses utiles, et les honnestes si que d'aucunes actions naturelles, non seulement utiles, mais necessaires, il les nomme deshonnestes et sales. Mais continuons nostre exemple de la trahison Deux pretendans au royaume de Thrace, estoient tombez en debat de leurs droicts, l'Empereur les empescha de venir aux armes mais l'un d'eux, sous couleur de conduire un accord amiable, par leur entreveuÃ, ayant assigné son compagnon, pour le festoyer en sa maison, le fit emprisonner et tuer. La justice requeroit, que les Romains eussent raison de ce forfaict la difficulté en empeschoit les voyes ordinaires. Ce qu'ils ne peurent legitimement, sans guerre, et sans hazard, ils entreprindrent de le faire par trahison ce qu'ils ne peurent honnestement, ils le firent utilement. A quoy se trouva propre un Pomponius Flaccus Cettuy-cy, soubs feintes parolles, et asseurances, ayant attiré cest homme dans ses rets au lieu de l'honneur et faveur qu'il luy promettoit, l'envoya pieds et poings liez à Romme. Un traistre y trahit l'autre, contre l'usage commun Car ils sont pleins de deffiance, et est mal-aisé de les surprendre par leur art tesmoing la poisante experience, que nous venons d'en sentir. Sera Pomponius Flaccus qui voudra, et en est assez qui le voudront Quant à moy, et ma parolle et ma foy, sont, comme le demeurant, pieces de ce commun corps le meilleur effect, c'est le service public je tiens cela pour presupposé. Mais comme si on me commandoit, que je prinse la charge du Palais, et des plaids, je respondroy, Je n'y entens rien ou la charge de conducteur de pionniers, je diroy, Je suis appellé á un rolle plus digne de mesmes, qui me voudroit employer, à mentir, à trahir, et à me parjurer, pour quelque service notable, non que d'assassiner ou empoisonner je diroy, Si j'ay volé ou desrobé quelqu'un, envoyez moy plustost en gallere. Car il est loysible à un homme d'honneur, de parler ainsi que firent les Lacedemoniens, ayants esté deffaicts par Antipater, sur le poinct de leurs accords Vous nous pouvez commander des charges poisantes et dommageables, autant qu'il vous plaira mais de honteuses, et des-honnestes, vous perdrez vostre temps de nous en commander. Chacun doit avoir juré à soy mesme, ce que les Roys d'Ægypte faisoient solennellement jurer à leurs juges, qu'ils ne se desvoyeroient de leur conscience, pour quelque commandement qu'eux mesmes leur en fissent. A telles commissions il y a note evidente d'ignominie, et de condemnation. Et qui vous la donne, vous accuse, et vous la donne, si vous l'entendez bien, en charge et en peine. Autant que les affaires publiques s'amendent de vostre exploict, autant s'en empirent les vostres vous y faictes d'autant pis, que mieux vous y faictes. Et ne sera pas nouveau, ny à l'avanture sans quelque air de Justice, que celuy mesmes vous ruïne, qui vous aura mis en besongne. Si la trahison doit estre en quelque cas excusable lors seulement elle l'est, qu'elle s'employe à chastier et trahir la trahison. Il se trouve assez de perfidies, non seulement refusees, mais punies, par ceux en faveur desquels elles avoient esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fabritius, à l'encontre du Medecin de Pyrrhus ? Mais cecy encore se trouve que tel l'a commandee, qui par apres l'a vengee rigoureusement, sur celuy qu'il y avoit employé refusant un credit et pouvoir si effrené, et desadvouant un servage et une obeïssance si abandonnee, et si lasche. Jaropelc Duc de Russie, practiqua un gentilhomme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Boleslaus, en le faisant mourir, ou donnant aux Russiens moyen de luy faire quelque notable dommage. Cettuy-cy s'y porta en galandhomme s'addonna plus que devant au service de ce Roy, obtint d'estre de son conseil, et de ses plus feaux. Avec ces advantages, et choisissant à point l'opportunité de l'absence de son maistre, il trahit aux Russiens Visilicie, grande et riche cité qui fut entierement saccagee, et arse par eux, avec occision totale, non seulement des habitans d'icelle, de tout sexe et aage, mais de grand nombre de noblesse de là autour, qu'il y avoit assemblé à ces fins. Jaropelc assouvy de sa vengeance, et de son courroux, qui pourtant n'estoit pas sans tiltre, car Boleslaus l'avoit fort offencé, et en pareille conduitte et saoul du fruict de cette trahison, venant à en considerer la laideur nuà et seule, et la regarder d'une veuà saine, et non plus troublee par sa passion, la print à un tel remors, et contre-coeur, qu'il en fit crever les yeux, et couper la langue, et les parties honteuses, à son executeur. Antigonus persuada les soldats Argyraspides, de luy trahir Eumenes, leur capitaine general, son adversaire. Mais l'eut-il faict tuer, apres qu'ils le luy eurent livré, il desira luy mesme estre commissaire de la justice divine, pour le chastiement d'un forfaict si detestable et les consigna entre les mains du gouverneur de la Province, luy donnant tres-expres commandement, de les perdre, et mettre à male fin, en quelque maniere que ce fust. Tellement que de ce grand nombre qu'ils estoient, aucun ne vit onques puis, l'air de Macedoine. Mieux il en avoit esté servy, d'autant le jugea il avoir esté plus meschamment et punissablement. L'esclave qui trahit la cachette de P. Sulpicius son maistre, fut mis en liberté, suivant la promesse de la proscription de Sylla Mais suivant la promesse de la raison publique, tout libre, il fut precipité du roc Tarpeien. Et nostre Roy Clovis, au lieu des armes d'or qu'il leur avoit promis, fit pendre les trois serviteurs de Cannacre, apres qu'ils luy eurent trahy leur maistre, à quoy il les avoit pratiquez. Ils les font pendre avec la bourse de leur payement au col. Ayant satisfaict à leur seconde foy, et speciale, ils satisfont à la generale et premiere. Mahomed second, se voulant deffaire de son frere, pour la jalousie de la domination, suivant le stile de leur race, y employa l'un de ses officiers qui le suffoqua, l'engorgeant de quantité d'eau, prinse trop à coup. Cela faict, il livra, pour l'expiation de ce meurtre, le meurtrier entre les mains de la mere du trespassé car ils n'estoient freres que de pere elle, en sa presence, ouvrit à ce meurtrier l'estomach et tout chaudement de ses mains, fouillant et arrachant son coeur, le jetta manger aux chiens. Et à ceux mesmes qui ne valent rien, il est si doux, ayant tiré l'usage d'une action vicieuse, y pouvoir hormais coudre en toute seureté, quelque traict de bonté, et de justice comme par compensation, et correction conscientieuse. Joint qu'ils regardent les ministres de tels horribles malefices, comme gents, qui les leur reprochent et cherchent par leur mort d'estouffer la cognoissance et tesmoignage de telles menees. Or si par fortune on vous en recompence, pour ne frustrer la necessité publique, de cet extreme et desesperé remede celuy qui le fait, ne laisse pas de vous tenir, s'il ne l'est luy-mesme, pour un homme maudit et execrable Et vous tient plus traistre, que ne faict celuy, contre qui vous l'estes car il touche la malignité de vostre courage, par voz mains, sans desadveu, sans object. Mais il vous employe, tout ainsi qu'on faict les hommes perdus, aux executions de la haute justice charge autant utile, comme elle est peu honneste. Outre la vilité de telles commissions, il y a de la prostitution de conscience. La fille à Sejanus ne pouvant estre punie à mort, en certaine forme de jugement à Rome, d'autant qu'elle estoit Vierge, fut, pour donner passage aux loix, forcee par le bourreau, avant qu'il l'estranglast Non sa main seulement, mais son ame, est esclave à la commodité publique. Quand le premier Amurath, pour aigrir la punition contre ses subjects, qui avoient donné support à la parricide rebellion de son fils, ordonna, que leurs plus proches parents presteroient la main à cette execution je trouve tres-honeste à aucuns d'iceux, d'avoir choisi plustost, d'estre injustement tenus coulpables du parricide d'un autre, que de servir la justice de leur propre parricide. Et où en quelques bicoques forcees de mon temps, j'ay veu des coquins, pour garantir leur vie, accepter de pendre leurs amis et consorts, je les ay tenus de pire condition que les pendus. On dit que Vuitolde Prince de Lituanie, introduisit en cette nation, que le criminel condamné à mort, eust luy mesme de sa main, à se deffaire trouvant estrange, qu'un tiers innocent de la faute, fust employé et chargé d'un homicide. Le Prince, quand une urgente circonstance, et quelque impetueux et inopiné accident, du besoing de son estat, luy fait gauchir sa parolle et sa foy, ou autrement le jette hors de son devoir ordinaire, doibt attribuer cette necessité, à un coup de la verge divine Vice n'est-ce pas, car il a quitté sa raison, à une plus universelle et puissante raison mais certes c'est malheur. De maniere qu'à quelqu'un qui me demandoit Quel remede ? nul remede, fis-je, s'il fut veritablement gehenné entre ces deux extremes sed videat ne quæratur latebra perjurio il le falloit faire mais s'il le fit, sans regret, s'il ne luy greva de le faire, c'est signe que sa conscience est en mauvais termes. Quand il s'en trouveroit quelqu'un de si tendre conscience, à qui nulle guarison ne semblast digne d'un si poisant remede, je ne l'en estimeroy pas moins. Il ne se sçauroit perdre plus excusablement et decemment. Nous ne pouvons pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut-il souvent, comme à la derniere anchre, remettre la protection de nostre vaisseau à la pure conduitte du ciel. A quelle plus juste necessité se reserve il ? Que luy est-il moins possible à faire que ce qu'il ne peut faire, qu'aux despens de sa foy et de son honneur ? choses, qui à l'aventure luy doivent estre plus cheres que son propre salut, et que le salut de son peuple Quand les bras croisez il appellera Dieu simplement à son aide, n'aura-il pas à esperer, que la divine bonté n'est pour refuser la faveur de sa main extraordinaire à une main pure et juste ? Ce sont dangereux exemples, rares, et maladifves exceptions, à nos regles naturelles il y faut ceder, mais avec grande moderation et circonspection. Aucune utilité privee, n'est digne pour laquelle nous façions cest effort à nostre conscience la publique bien, lors qu'elle est et tres-apparente, et tres-importante. Timoleon se garantit à propos, de l'estrangeté de son exploit, par les larmes qu'il rendit, se souvenant que c'estoit d'une main fraternelle qu'il avoit tué le tyran. Et cela pinça justement sa conscience, qu'il eust esté necessité d'achetter l'utilité publique, à tel prix de l'honnesteté de ses moeurs. Le Senat mesme delivré de servitude par son moyen, n'osa rondement decider d'un si haut faict, et deschiré en deux si poisants et contraires visages. Mais les Syracusains ayans tout à point, à l'heure mesme, envoyé requerir les Corinthiens de leur protection, et d'un chef digne de restablir leur ville en sa premiere dignité, et nettoyer la Sicile de plusieurs tyranneaux, qui l'oppressoient il y deputa Timoleon, avec cette nouvelle deffaitte et declaration Que selon qu'il se porteroit bien ou mal en sa charge, leur arrest prendroit party, à la faveur du liberateur de son païs, ou à la desfaveur du meurtrier de son frere. Cette fantastique conclusion, a quelque excuse, sur le danger de l'exemple et importance d'un faict si divers. Et feirent bien, d'en descharger leur jugement, ou de l'appuier ailleurs, et en des considerations tierces. Or les deportements de Timoleon en ce voyage rendirent bien tost sa cause plus claire, tant il s'y porta dignement et vertueusement, en toutes façons. Et le bon heur qui l'accompagna aux aspretez qu'il eut à vaincre en cette noble besongne, sembla luy estre envoyé par les Dieux conspirants et favorables à sa justification. La fin de cettuy cy est excusable, si aucune le pouvoit estre. Mais le profit de l'augmentation du revenu publique, qui servit de pretexte au Senat Romain à cette orde conclusion, que je m'en vay reciter, n'est pas assez fort pour mettre à garand une telle injustice. Certaines citez s'estoient rachetees à prix d'argent, et remises en liberté, avec l'ordonnance et permission du Senat, des mains de L. Sylla. La chose estant tombee en nouveau jugement, le Senat les condamna à estre taillables comme auparavant et que l'argent qu'elles avoyent employé pour se rachetter, demeureroit perdu pour elles. Les guerres civiles produisent souvent ces vilains exemples Que nous punissons les privez, de ce qu'ils nous ont creu, quand nous estions autres. Et un mesme magistrat fait porter la peine de son changement, à qui n'en peut mais. Le maistre foitte son disciple de docilité, et la guide son aveugle Horrible image de justice. Il y a des regles en la philosophie et faulses et molles. L'exemple qu'on nous propose, pour faire prevaloir l'utilité privee, à la foy donnee, ne reçoit pas assez de poids par la circonstance qu'ils y meslent. Des voleurs vous ont prins, ils vous ont remis en liberté, ayans tiré de vous serment du paiement de certaine somme. On a tort de dire, qu'un homme de bien, sera quitte de sa foy, sans payer, estant hors de leurs mains. Il n'en est rien. Ce que la crainte m'a fait une fois vouloir, je suis tenu de le vouloir encore sans crainte. Et quand elle n'aura forcé que ma langue, sans la volonté encore suis je tenu de faire la maille bonne de ma parole. Pour moy, quand par fois ell'a inconsiderément devancé ma pensee, j'ay faict conscience de la desadvoüer pourtant. Autrement de degré en degré, nous viendrons à abolir tout le droit qu'un tiers prend de noz promesses. Quasi vero forti viro vis possit adhiberi. En cecy seulement a loy, l'interest privé, de nous excuser de faillir à nostre promesse, si nous avons promis chose meschante, et inique de soy. Car le droit de la vertu doibt prevaloir le droit de nostre obligation. J'ay autrefois logé Epaminondas au premier rang des hommes excellens et ne m'en desdy pas. Jusques où montoit-il la consideration de son particulier devoir ? qui ne tua jamais homme qu'il eust vaincu qui pour ce bien inestimable, de rendre la liberté à son païs, faisoit conscience de tuer un Tyran, ou ses complices, sans les formes de la justice et qui jugeoit meschant homme, quelque bon Citoyen qu'il fust, celuy qui entre les ennemis, et en la bataille, n'espargnoit son amy et son hoste. Voyla une ame de riche composition. Il marioit aux plus rudes et violentes actions humaines, la bonté et l'humanité, voire la plus delicate, qui se treuve en l'escole de la Philosophie. Ce courage si gros, enflé, et obstiné contre la douleur, la mort, la pauvreté, estoit-ce nature, ou art, qui l'eust attendry, jusques au poinct d'une si extreme douceur, et debonnaireté de complexion ? Horrible de fer et de sang, il va fracassant et rompant une nation invincible contre tout autre, que contre luy seul et gauchit au milieu d'une telle meslee, au rencontre de son hoste et de son amy. Vrayement celuy la proprement commandoit bien à la guerre, qui luy faisoit souffrir le mors de la benignité, sur le point de sa plus forte chaleur ainsin enflammee qu'elle estoit, et toute escumeuse de fureur et de meurtre. C'est miracle, de pouvoir mesler à telles actions quelque image de justice mais il n'appartient qu'à la roideur d'Epaminondas, d'y pouvoir mesler la douceur et la facilité des moeurs les plus molles, et la pure innocence. Et où l'un dit aux Mammertins, que les statuts n'avoient point de mise envers les hommes armez l'autre, au Tribun du peuple, que le temps de la justice, et de la guerre, estoient deux le tiers, que le bruit des armes l'empeschoit d'entendre la voix des loix cettuy-cy n'estoit pas seulement empesché d'entendre celles de la civilité, et pure courtoisie. Avoit-il pas emprunté de ses ennemis, l'usage de sacrifier aux Muses, allant à la guerre, pour destremper par leur douceur et gayeté, cette furie et aspreté martiale ? Ne craignons point apres un si grand precepteur, d'estimer qu'il y a quelque chose illicite contre les ennemys mesmes que l'interest commun ne doibt pas tout requerir de tous, contre l'interest privé manente memoria etiam in dissidio publicorum foederum privati juris et nulla potentia vires Præstandi, ne quid peccet amicus, habet et que toutes choses ne sont pas loisibles à un homme de bien, pour le service de son Roy, ny de la cause generale et des loix. Non enim patria præstat omnibus officiis, Et ipsi conducit pios habere cives in parentes. C'est une instruction propre au temps Nous n'avons que faire de durcir nos courages par ces lames de fer, c'est assez que nos espaules le soyent c'est assez de tramper nos plumes en ancre, sans les tramper en sang. Si c'est grandeur de courage, et l'effect d'une vertu rare et singuliere, de mespriser l'amitié, les obligations privees, sa parolle, et la parenté, pour le bien commun, et obeïssance du Magistrat c'est assez vrayement pour nous en excuser, que c'est une grandeur, qui ne peut loger en la grandeur du courage d'Epaminondas. J'abomine les exhortemens enragez, de cette autre ame desreiglee, dum tela micant, non vos pietatis imago Ulla, nec adversa conspecti fronte parentes Commoveant, vultus gladio turbate verendos. Ostons aux meschants naturels, et sanguinaires, et traistres, ce pretexte de raison laissons là cette justice enorme, et hors de soy et nous tenons aux plus humaines imitations. Combien peut le temps et l'exemple ? En une rencontre de la guerre civile contre Cinna, un soldat de Pompeius, ayant tué sans y penser son frere, qui estoit au party contraire, se tua sur le champ soy-mesme, de honte et de regret Et quelques annees apres, en une autre guerre civile de ce mesme peuple, un soldat, pour avoir tué son frere, demanda recompense à ses capitaines. On argumente mal l'honneur et la beauté d'une action, par son utilité et conclud-on mal, d'estimer que chacun y soit obligé, et qu'elle soit honeste à chacun, si elle est utile. Omnia non pariter rerum sunt omnibus apta. Choisissons la plus necessaire et plus utile de l'humaine societé, ce sera le mariage Si est-ce que le conseil des saincts, trouve le contraire party plus honeste, et en exclut la plus venerable vacation des hommes comme nous assignons au haras, les bestes qui sont de moindre estime. Table des matières Chapitre précédentChapitre suivant CHAPITRE I De l'utile et de l'honeste PERSONNE n'est exempt de dire des fadaises le malheur est, de les dire curieusement Næ iste magno conatu magnas nugas dixerit. Cela ne me touche pas ; les miennes m'eschappent aussi nonchallamment qu'elles le valent D'où bien leur prend Je les quitterois soudain, à peu de coust qu'il y eust Et ne les achette, ny ne les vends, que ce qu'elles poisent Je parle au papier, comme je parle au premier que je rencontre Qu'il soit vray, voicy dequoy. A qui ne doit estre la perfidie detestable, puis que Tybere la refusa à si grand interest ? On luy manda d'Allemaigne, que s'il le trouvoit bon, on le defferoit d'Ariminius par poison. C'estoit le plus puissant ennemy que les Romains eussent, qui les avoit si vilainement traictez soubs Varus, et qui seul empeschoit l'accroissement de sa domination en ces contrees là . Il fit responce, que le peuple Romain avoit accoustumé de se venger de ses ennemis par voye ouverte, les armes en main, non par fraude et en cachette il quitta l'utile pour l'honeste. C'estoit me direz vous un affronteur. Je le croy ce n'est pas grand miracle, à gens de sa profession. Mais la confession de la vertu, ne porte pas moins en la bouche de celuy qui la hayt d'autant que la verité la luy arrache par force, et que s'il ne la veult recevoir en soy, aumoins il s'en couvre, pour s'en parer. Nostre bastiment et public et privé, est plein d'imperfection mais il n'y a rien d'inutile en nature, non pas l'inutilité mesmes, rien ne s'est ingeré en cet univers, qui n'y tienne place opportune. Nostre estre est simenté de qualitez maladives l'ambition, la jalousie, l'envie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d'une si naturelle possession, que l'image s'en recognoist aussi aux bestes Voire et la cruauté, vice si desnaturé car au milieu de la compassion, nous sentons au dedans, je ne sçay quelle aigre-douce poincte de volupté maligne, à voir souffrir autruy et les enfans la sentent Suave mari magno turbantibus æquora ventis, E terra magnum alterius spectare laborem. Desquelles qualitez, qui osteroit les semences en l'homme, destruiroit les fondamentales conditions de nostre vie De mesme, en toute police il y a des offices necessaires, non seulement abjects, mais encores vicieux Les vices y trouvent leur rang, et s'employent à la cousture de nostre liaison comme les venins à la conservation de nostre santé. S'ils deviennent excusables, d'autant qu'ils nous font besoing, et que la necessité commune efface leur vraye qualité il faut laisser jouer cette partie, aux citoyens plus vigoureux, et moins craintifs, qui sacrifient leur honneur et leur conscience, comme ces autres anciens sacrifierent leur vie, pour le salut de leur pays Nous autres plus foibles prenons des rolles et plus aysez et moins hazardeux Le bien public requiert qu'on trahisse, et qu'on mente, et qu'on massacre resignons cette commission à gens plus obeissans et plus soupples. Certes j'ay eu souvent despit, de voir des juges, attirer par fraude et fauces esperances de faveur ou pardon, le criminel à descouvrir son fait, et y employer la piperie et l'impudence Il serviroit bien à la justice, et à Platon mesme, qui favorise cet usage, de me fournir d'autres moyens plus selon moy. C'est une justice malicieuse et ne l'estime pas moins blessee par soy-mesme, que par autruy. Je respondy, n'y a pas long temps, qu'à peine trahirois-je le Prince pour un particulier, qui serois tres-marry de trahir aucun particulier, pour le Prince Et ne hay pas seulement à piper, mais je hay aussi qu'on se pipe en moy je n'y veux pas seulement fournir de matiere et d'occasion. En ce peu que j'ay eu à negocier entre nos Princes, en ces divisions, et subdivisions, qui nous deschirent aujourd'huy j'ay curieusement evité, qu'ils se mesprinssent en moy, et s'enferrassent en mon masque. Les gens du mestier se tiennent les plus couverts, et se presentent et contrefont les plus moyens, et les plus voysins qu'ils peuvent moy, je m'offre par mes opinions les plus vives, et par la forme plus mienne Tendre negotiateur et novice qui ayme mieux faillir à l'affaire, qu'à moy. C'a esté pourtant jusques à cette heure, avec tel heur, car certes fortune y a la principalle part que peu ont passé demain à autre, avec moins de soupçon, plus de faveur et de privauté. J'ay une façon ouverte, aisee à s'insinuer, et à se donner credit, aux premieres accointances. La naifveté et la verité pure, en quelque siecle que ce soit, trouvent encore leur opportunité et leur mise. Et puis de ceux-là est la liberté peu suspecte, et peu odieuse, qui besongnent sans aucun leur interest Et peuvent veritablement employer la responce de Hipperides aux Atheniens, se plaignans de l'aspreté de son parler Messieurs, ne considerez pas si je suis libre, mais si je le suis, sans rien prendre, et sans amender par là mes affaires. Ma liberté m'a aussi aiséement deschargé du soupçon de faintise, par sa vigueur n'espargnant rien à dire pour poisant et cuisant qu'il fust je n'eusse peu dire pis absent et en ce, qu'elle a une montre apparente de simplesse et de nonchalance Je ne pretens autre fruict en agissant, que d'agir, et n'y attache longues suittes et propositions Chasque action fait particulierement son jeu porte s'il peut. Au demeurant, je ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou amoureuse, envers les grands ny n'ay ma volonté garrotee d'offence, ou d'obligation particuliere. Je regarde nos Roys d'une affection simplement legitime et civile, ny emeuà ny demeuà par interest privé, dequoy je me sçay bon gré. La cause generale et juste ne m'attache non plus, que moderément et sans fiévre. Je ne suis pas subjet à ces hypoteques et engagemens penetrans et intimes La colere et la hayne sont au delà du devoir de la justice et sont passions servans seulement à ceux, qui ne tiennent pas assez à leur devoir, par la raison simple Utatur motu animi, qui uti ratione non potest. Toutes intentions legitimes sont d'elles mesmes temperees sinon, elles s'alterent en seditieuses et illegitimes. C'est ce qui me faict marcher par tout, la teste haute, le visage, et le coeur ouvert. A la verité, et ne crains point de l'advouer, je porterois facilement au besoing, une chandelle à Sainct Michel, l'autre à son serpent, suivant le dessein de la vieille Je suivray le bon party jusques au feu, mais exclusivement si je puis Que Montaigne s'engouffre quant et la ruyne publique, si besoing est mais s'il n'est pas besoing, je sçauray bon gré à la fortune qu'il se sauve et autant que mon devoir me donne de corde, je l'employe à sa conservation. Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au juste party, et au party qui perdit, se sauva par sa moderation, en cet universel naufrage du monde, parmy tant de mutations et diversitez ? Aux hommes, comme luy privez, il est plus aisé Et en telle sorte de besongne, je trouve qu'on peut justement n'estre pas ambitieux à s'ingerer et convier soy-mesmes De se tenir chancelant et mestis, de tenir son affection immobile, et sans inclination aux troubles de son pays, et en une division publique, je ne le trouve ny beau, ny honneste Ea non media, sed nulla via est, velut eventum expectantium, quo fortunæ consilia sua applicent. Cela peut estre permis envers les affaires des voysins et Gelon tyran de Syracuse, suspendoit ainsi son inclination en la guerre des Barbares contre les Grecs ; tenant une Ambassade à Delphes, avec des presents pour estre en eschauguette, à veoir de quel costé tomberoit la fortune, et prendre l'occasion à poinct, pour le concilier aux victorieux. Ce seroit une espece de trahison, de le faire aux propres et domestiques affaires, ausquels necessairement il faut prendre party mais de ne s'embesongner point, à homme qui n'a ny charge, ny commandement exprez qui le presse, je le trouve plus excusable et si ne practique pour moy cette excuse qu'aux guerres estrangeres desquelles pourtant, selon nos loix, ne s'empesche qui ne veut. Toutesfois ceux encore qui s'y engagent tout à faict, le peuvent, avec tel ordre et attrempance, que l'orage debvra couler par dessus leur teste, sans offence. N'avions nous pas raison de l'esperer ainsi du feu Evesque d'Orleans, sieur de Morvilliers ? Et j'en cognois entre ceux qui y ouvrent valeureusement à cette heure, de moeurs ou si equables, ou si douces, qu'ils seront, pour demeurer debout, quelque injurieuse mutation et cheute que le ciel nous appreste. Je tiens que c'est aux Roys proprement, de s'animer contre les Roys et me moque de ces esprits, qui de gayeté de coeur se presentent à querelles si disproportionnees Car on ne prend pas querelle particuliere avec un prince, pour marcher contre luy ouvertement et courageusement, pour son honneur, et selon son devoir s'il n'aime un tel personnage, il fait mieux, il l'estime. Et notamment la cause des loix, et defence de l'ancien estat, a tousjours cela, que ceux mesmes qui pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les defenseurs, s'ils ne les honorent. Mais il ne faut pas appeller devoir, comme nous faisons tous les jours, une aigreur et une intestine aspreté, qui naist de l'interest et passion privee, ny courage, une conduitte traistresse et malitieuse. Ils nomment zele, leur propension vers la malignité, et violence Ce n'est pas la cause qui les eschauffe, c'est leur interest Ils attisent la guerre, non par ce qu'elle est juste, mais par ce que c'est guerre. Rien n'empesche qu'on ne se puisse comporter commodément entre des hommes qui se sont ennemis, et loyalement conduisez vous y d'une, sinon par tout esgale affection car elle peut souffrir differentes mesures au moins temperee, et qui ne vous engage tant à l'un, qu'il puisse tout requerir de vous Et vous contentez aussi d'une moienne mesure de leur grace et de couler en eau trouble, sans y vouloir pescher. L'autre maniere de s'offrir de toute sa force aux uns et aux autres, a encore moins de prudence que de conscience. Celuy envers qui vous en trahissez un, duquel vous estes pareillement bien venu sçait-il pas, que de soy vous en faites autant à son tour ? Il vous tient pour un meschant homme ce pendant il vous oit, et tire de vous, et fait ses affaires de vostre desloyauté Car les hommes doubles sont utiles, en ce qu'ils apportent mais il se faut garder, qu'ils n'emportent que le moins qu'on peut. Je ne dis rien à l'un, que je ne puisse dire à l'autre, à son heure, l'accent seulement un peu changé et ne rapporte que les choses ou indifferentes, ou cogneuÃs, ou qui servent en commun. Il n'y a point d'utilité, pour laquelle je me permette de leur mentir. Ce qui a esté fié à mon silence, je le cele religieusement mais je prens à celer le moins que je puis C'est une importune garde, du secret des Princes, à qui n'en a que faire. Je presente volontiers ce marché, qu'ils me fient peu mais qu'ils se fient hardiment, de ce que je leur apporte J'en ay tousjours plus sceu que je n'ay voulu. Un parler ouvert, ouvre un autre parler, et le tire hors, comme fait le vin et l'amour. Philippides respondit sagement à mon gré, au Roy Lysimachus, qui luy disoit, Que veux-tu que je te communique de mes biens ? Ce que tu voudras, pourveu que ce ne soit de tes secrets. Je voy que chacun se mutine, si on luy cache le fonds des affaires ausquels on l'employe, et si on luy en a desrobé quelque arriere-sens Pour moy, je suis content qu'on ne m'en die non plus, qu'on veut que j'en mette en besoigne et ne desire pas, que ma science outrepasse et contraigne ma parole. Si je dois servir d'instrument de tromperie, que ce soit aumoins sauve ma conscience. Je ne veux estre tenu serviteur, ny si affectionné, ny si loyal, qu'on me treuve bon à trahir personne. Qui est infidelle à soy-mesme, l'est excusablement à son maistre. Mais ce sont Princes, qui n'acceptent pas les hommes à moytié, et mesprisent les services limitez et conditionnez. Il n'y a remede je leur dis franchement mes bornes car esclave, je ne le doibs estre que de la raison, encore n'en puis-je bien venir à bout. Et eux aussi ont tort, d'exiger d'un homme libre, telle subjection à leur service, et telle obligation, que de celuy, qu'ils ont faict et achetté ou duquel la fortune tient particulierement et expressement à la leur. Les loix m'ont osté de grand peine, elles m'ont choisi party, et donné un maistre toute autre superiorité et obligation doibt estre relative à celle-là , et retranchee. Si n'est-ce pas à dire, quand mon affection me porteroit autrement, qu'incontinent j'y portasse la main la volonté et les desirs se font loy eux mesmes, les actions ont à la recevoir de l'ordonnance publique. Tout ce mien proceder, est un peu bien dissonant à nos formes ce ne seroit pas pour produire grands effets, ny pour y durer l'innocence mesme ne sçauroit à cette heure ny negotier sans dissimulation, ny marchander sans menterie. Aussi ne sont aucunement de mon gibier, les occupations publiques ce que ma profession en requiert, je l'y fournis, en la forme que je puis la plus privee. Enfant, on m'y plongea jusques aux oreilles, et il succedoit si m'en desprins je de belle heure. J'ay souvent dépuis évité de m'en mesler, rarement accepté, jamais requis, tenant le dos tourné à l'ambition mais sinon comme les tireurs d'aviron, qui s'avancent ainsin à reculons tellement toutesfois, que de ne m'y estre poinct embarqué, j'en suis moins obligé à ma resolution, qu'à ma bonne fortune. Car il y a des voyes moins ennemyes de mon goust, et plus conformes à ma portee, par lesquelles si elle m'eust appellé autrefois au service public, et à mon avancement vers le credit du monde, je sçay que j'eusse passé par dessus la raison de mes discours, pour la suyvre. Ceux qui disent communement contre ma profession, que ce que j'appelle franchise, simplesse, et naifveté, en mes moeurs, c'est art et finesse et plustost prudence, que bonté industrie, que nature bon sens, que bon heur me font plus d'honneur qu'ils ne m'en ostent. Mais certes ils font ma finesse trop fine. Et qui m'aura suyvi et espié de pres, je luy donray gaigné, s'il ne confesse, qu'il n'y a point de regle en leur escole, qui sçeust rapporter ce naturel mouvement, et maintenir une apparence de liberté, et de licence, si pareille, et inflexible, parmy des routes si tortues et diverses et que toute leur attention et engin, ne les y sçauroit conduire. La voye de la verité est une et simple, celle du profit particulier, et de la commodité des affaires, qu'on a en charge, double, inegale, et fortuite. J'ay veu souvent en usage, ces libertez contrefaites, et artificielles, mais le plus souvent, sans succez. Elles sentent volontiers leur asne d'Esope lequel par emulation du chien, vint à se jetter tout gayement, à deux pieds, sur les espaules de son maistre mais autant que le chien recevoit de caresses, de pareille feste, le pauvre asne, en reçeut deux fois autant de bastonnades. Id maximè quemque decet, quod est cujusque suum maximè. Je ne veux pas priver la tromperie de son rang, ce seroit mal entendre le monde je sçay qu'elle a servy souvent profitablement, et qu'elle maintient et nourrit la plus part des vacations des hommes. Il y a des vices legitimes, comme plusieurs actions, ou bonnes, ou excusables, illegitimes. La justice en soy, naturelle et universelle, est autrement reglee, et plus noblement, que n'est cette autre justice speciale, nationale, contrainte au besoing de nos polices Veri juris germanæque justitiæ solidam et expressam effigiem nullam tenemus umbra et imaginibus utimur. Si que le sage Dandamys, oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras, Diogenes, les jugea grands personnages en toute autre chose, mais trop asservis à la reverence des loix Pour lesquelles auctoriser, et seconder, la vraye vertu a beaucoup à se desmettre de sa vigueur originelle et non seulement par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu, mais encores à leur suasion. Ex Senatusconsultis plebisque scitis scelera exercentur. Je suy le langage commun, qui fait difference entre les choses utiles, et les honnestes si que d'aucunes actions naturelles, non seulement utiles, mais necessaires, il les nomme deshonnestes et sales. Mais continuons nostre exemple de la trahison Deux pretendans au royaume de Thrace, estoient tombez en debat de leurs droicts, l'Empereur les empescha de venir aux armes mais l'un d'eux, sous couleur de conduire un accord amiable, par leur entreveuÃ, ayant assigné son compagnon, pour le festoyer en sa maison, le fit emprisonner et tuer. La justice requeroit, que les Romains eussent raison de ce forfaict la difficulté en empeschoit les voyes ordinaires. Ce qu'ils ne peurent legitimement, sans guerre, et sans hazard, ils entreprindrent de le faire par trahison ce qu'ils ne peurent honnestement, ils le firent utilement. A quoy se trouva propre un Pomponius Flaccus Cettuy-cy, soubs feintes parolles, et asseurances, ayant attiré cest homme dans ses rets au lieu de l'honneur et faveur qu'il luy promettoit, l'envoya pieds et poings liez à Romme. Un traistre y trahit l'autre, contre l'usage commun Car ils sont pleins de deffiance, et est mal-aisé de les surprendre par leur art tesmoing la poisante experience, que nous venons d'en sentir. Sera Pomponius Flaccus qui voudra, et en est assez qui le voudront Quant à moy, et ma parolle et ma foy, sont, comme le demeurant, pieces de ce commun corps le meilleur effect, c'est le service public je tiens cela pour presupposé. Mais comme si on me commandoit, que je prinse la charge du Palais, et des plaids, je respondroy, Je n'y entens rien ou la charge de conducteur de pionniers, je diroy, Je suis appellé á un rolle plus digne de mesmes, qui me voudroit employer, à mentir, à trahir, et à me parjurer, pour quelque service notable, non que d'assassiner ou empoisonner je diroy, Si j'ay volé ou desrobé quelqu'un, envoyez moy plustost en gallere. Car il est loysible à un homme d'honneur, de parler ainsi que firent les Lacedemoniens, ayants esté deffaicts par Antipater, sur le poinct de leurs accords Vous nous pouvez commander des charges poisantes et dommageables, autant qu'il vous plaira mais de honteuses, et des-honnestes, vous perdrez vostre temps de nous en commander. Chacun doit avoir juré à soy mesme, ce que les Roys d'Ægypte faisoient solennellement jurer à leurs juges, qu'ils ne se desvoyeroient de leur conscience, pour quelque commandement qu'eux mesmes leur en fissent. A telles commissions il y a note evidente d'ignominie, et de condemnation. Et qui vous la donne, vous accuse, et vous la donne, si vous l'entendez bien, en charge et en peine. Autant que les affaires publiques s'amendent de vostre exploict, autant s'en empirent les vostres vous y faictes d'autant pis, que mieux vous y faictes. Et ne sera pas nouveau, ny à l'avanture sans quelque air de Justice, que celuy mesmes vous ruïne, qui vous aura mis en besongne. Si la trahison doit estre en quelque cas excusable lors seulement elle l'est, qu'elle s'employe à chastier et trahir la trahison. Il se trouve assez de perfidies, non seulement refusees, mais punies, par ceux en faveur desquels elles avoient esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fabritius, à l'encontre du Medecin de Pyrrhus ? Mais cecy encore se trouve que tel l'a commandee, qui par apres l'a vengee rigoureusement, sur celuy qu'il y avoit employé refusant un credit et pouvoir si effrené, et desadvouant un servage et une obeïssance si abandonnee, et si lasche. Jaropelc Duc de Russie, practiqua un gentilhomme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Boleslaus, en le faisant mourir, ou donnant aux Russiens moyen de luy faire quelque notable dommage. Cettuy-cy s'y porta en galandhomme s'addonna plus que devant au service de ce Roy, obtint d'estre de son conseil, et de ses plus feaux. Avec ces advantages, et choisissant à point l'opportunité de l'absence de son maistre, il trahit aux Russiens Visilicie, grande et riche cité qui fut entierement saccagee, et arse par eux, avec occision totale, non seulement des habitans d'icelle, de tout sexe et aage, mais de grand nombre de noblesse de là autour, qu'il y avoit assemblé à ces fins. Jaropelc assouvy de sa vengeance, et de son courroux, qui pourtant n'estoit pas sans tiltre, car Boleslaus l'avoit fort offencé, et en pareille conduitte et saoul du fruict de cette trahison, venant à en considerer la laideur nuà et seule, et la regarder d'une veuà saine, et non plus troublee par sa passion, la print à un tel remors, et contre-coeur, qu'il en fit crever les yeux, et couper la langue, et les parties honteuses, à son executeur. Antigonus persuada les soldats Argyraspides, de luy trahir Eumenes, leur capitaine general, son adversaire. Mais l'eut-il faict tuer, apres qu'ils le luy eurent livré, il desira luy mesme estre commissaire de la justice divine, pour le chastiement d'un forfaict si detestable et les consigna entre les mains du gouverneur de la Province, luy donnant tres-expres commandement, de les perdre, et mettre à male fin, en quelque maniere que ce fust. Tellement que de ce grand nombre qu'ils estoient, aucun ne vit onques puis, l'air de Macedoine. Mieux il en avoit esté servy, d'autant le jugea il avoir esté plus meschamment et punissablement. L'esclave qui trahit la cachette de P. Sulpicius son maistre, fut mis en liberté, suivant la promesse de la proscription de Sylla Mais suivant la promesse de la raison publique, tout libre, il fut precipité du roc Tarpeien. Et nostre Roy Clovis, au lieu des armes d'or qu'il leur avoit promis, fit pendre les trois serviteurs de Cannacre, apres qu'ils luy eurent trahy leur maistre, à quoy il les avoit pratiquez. Ils les font pendre avec la bourse de leur payement au col. Ayant satisfaict à leur seconde foy, et speciale, ils satisfont à la generale et premiere. Mahomed second, se voulant deffaire de son frere, pour la jalousie de la domination, suivant le stile de leur race, y employa l'un de ses officiers qui le suffoqua, l'engorgeant de quantité d'eau, prinse trop à coup. Cela faict, il livra, pour l'expiation de ce meurtre, le meurtrier entre les mains de la mere du trespassé car ils n'estoient freres que de pere elle, en sa presence, ouvrit à ce meurtrier l'estomach et tout chaudement de ses mains, fouillant et arrachant son coeur, le jetta manger aux chiens. Et à ceux mesmes qui ne valent rien, il est si doux, ayant tiré l'usage d'une action vicieuse, y pouvoir hormais coudre en toute seureté, quelque traict de bonté, et de justice comme par compensation, et correction conscientieuse. Joint qu'ils regardent les ministres de tels horribles malefices, comme gents, qui les leur reprochent et cherchent par leur mort d'estouffer la cognoissance et tesmoignage de telles menees. Or si par fortune on vous en recompence, pour ne frustrer la necessité publique, de cet extreme et desesperé remede celuy qui le fait, ne laisse pas de vous tenir, s'il ne l'est luy-mesme, pour un homme maudit et execrable Et vous tient plus traistre, que ne faict celuy, contre qui vous l'estes car il touche la malignité de vostre courage, par voz mains, sans desadveu, sans object. Mais il vous employe, tout ainsi qu'on faict les hommes perdus, aux executions de la haute justice charge autant utile, comme elle est peu honneste. Outre la vilité de telles commissions, il y a de la prostitution de conscience. La fille à Sejanus ne pouvant estre punie à mort, en certaine forme de jugement à Rome, d'autant qu'elle estoit Vierge, fut, pour donner passage aux loix, forcee par le bourreau, avant qu'il l'estranglast Non sa main seulement, mais son ame, est esclave à la commodité publique. Quand le premier Amurath, pour aigrir la punition contre ses subjects, qui avoient donné support à la parricide rebellion de son fils, ordonna, que leurs plus proches parents presteroient la main à cette execution je trouve tres-honeste à aucuns d'iceux, d'avoir choisi plustost, d'estre injustement tenus coulpables du parricide d'un autre, que de servir la justice de leur propre parricide. Et où en quelques bicoques forcees de mon temps, j'ay veu des coquins, pour garantir leur vie, accepter de pendre leurs amis et consorts, je les ay tenus de pire condition que les pendus. On dit que Vuitolde Prince de Lituanie, introduisit en cette nation, que le criminel condamné à mort, eust luy mesme de sa main, à se deffaire trouvant estrange, qu'un tiers innocent de la faute, fust employé et chargé d'un homicide. Le Prince, quand une urgente circonstance, et quelque impetueux et inopiné accident, du besoing de son estat, luy fait gauchir sa parolle et sa foy, ou autrement le jette hors de son devoir ordinaire, doibt attribuer cette necessité, à un coup de la verge divine Vice n'est-ce pas, car il a quitté sa raison, à une plus universelle et puissante raison mais certes c'est malheur. De maniere qu'à quelqu'un qui me demandoit Quel remede ? nul remede, fis-je, s'il fut veritablement gehenné entre ces deux extremes sed videat ne quæratur latebra perjurio il le falloit faire mais s'il le fit, sans regret, s'il ne luy greva de le faire, c'est signe que sa conscience est en mauvais termes. Quand il s'en trouveroit quelqu'un de si tendre conscience, à qui nulle guarison ne semblast digne d'un si poisant remede, je ne l'en estimeroy pas moins. Il ne se sçauroit perdre plus excusablement et decemment. Nous ne pouvons pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut-il souvent, comme à la derniere anchre, remettre la protection de nostre vaisseau à la pure conduitte du ciel. A quelle plus juste necessité se reserve il ? Que luy est-il moins possible à faire que ce qu'il ne peut faire, qu'aux despens de sa foy et de son honneur ? choses, qui à l'aventure luy doivent estre plus cheres que son propre salut, et que le salut de son peuple Quand les bras croisez il appellera Dieu simplement à son aide, n'aura-il pas à esperer, que la divine bonté n'est pour refuser la faveur de sa main extraordinaire à une main pure et juste ? Ce sont dangereux exemples, rares, et maladifves exceptions, à nos regles naturelles il y faut ceder, mais avec grande moderation et circonspection. Aucune utilité privee, n'est digne pour laquelle nous façions cest effort à nostre conscience la publique bien, lors qu'elle est et tres-apparente, et tres-importante. Timoleon se garantit à propos, de l'estrangeté de son exploit, par les larmes qu'il rendit, se souvenant que c'estoit d'une main fraternelle qu'il avoit tué le tyran. Et cela pinça justement sa conscience, qu'il eust esté necessité d'achetter l'utilité publique, à tel prix de l'honnesteté de ses moeurs. Le Senat mesme delivré de servitude par son moyen, n'osa rondement decider d'un si haut faict, et deschiré en deux si poisants et contraires visages. Mais les Syracusains ayans tout à point, à l'heure mesme, envoyé requerir les Corinthiens de leur protection, et d'un chef digne de restablir leur ville en sa premiere dignité, et nettoyer la Sicile de plusieurs tyranneaux, qui l'oppressoient il y deputa Timoleon, avec cette nouvelle deffaitte et declaration Que selon qu'il se porteroit bien ou mal en sa charge, leur arrest prendroit party, à la faveur du liberateur de son païs, ou à la desfaveur du meurtrier de son frere. Cette fantastique conclusion, a quelque excuse, sur le danger de l'exemple et importance d'un faict si divers. Et feirent bien, d'en descharger leur jugement, ou de l'appuier ailleurs, et en des considerations tierces. Or les deportements de Timoleon en ce voyage rendirent bien tost sa cause plus claire, tant il s'y porta dignement et vertueusement, en toutes façons. Et le bon heur qui l'accompagna aux aspretez qu'il eut à vaincre en cette noble besongne, sembla luy estre envoyé par les Dieux conspirants et favorables à sa justification. La fin de cettuy cy est excusable, si aucune le pouvoit estre. Mais le profit de l'augmentation du revenu publique, qui servit de pretexte au Senat Romain à cette orde conclusion, que je m'en vay reciter, n'est pas assez fort pour mettre à garand une telle injustice. Certaines citez s'estoient rachetees à prix d'argent, et remises en liberté, avec l'ordonnance et permission du Senat, des mains de L. Sylla. La chose estant tombee en nouveau jugement, le Senat les condamna à estre taillables comme auparavant et que l'argent qu'elles avoyent employé pour se rachetter, demeureroit perdu pour elles. Les guerres civiles produisent souvent ces vilains exemples Que nous punissons les privez, de ce qu'ils nous ont creu, quand nous estions autres. Et un mesme magistrat fait porter la peine de son changement, à qui n'en peut mais. Le maistre foitte son disciple de docilité, et la guide son aveugle Horrible image de justice. Il y a des regles en la philosophie et faulses et molles. L'exemple qu'on nous propose, pour faire prevaloir l'utilité privee, à la foy donnee, ne reçoit pas assez de poids par la circonstance qu'ils y meslent. Des voleurs vous ont prins, ils vous ont remis en liberté, ayans tiré de vous serment du paiement de certaine somme. On a tort de dire, qu'un homme de bien, sera quitte de sa foy, sans payer, estant hors de leurs mains. Il n'en est rien. Ce que la crainte m'a fait une fois vouloir, je suis tenu de le vouloir encore sans crainte. Et quand elle n'aura forcé que ma langue, sans la volonté encore suis je tenu de faire la maille bonne de ma parole. Pour moy, quand par fois ell'a inconsiderément devancé ma pensee, j'ay faict conscience de la desadvoüer pourtant. Autrement de degré en degré, nous viendrons à abolir tout le droit qu'un tiers prend de noz promesses. Quasi vero forti viro vis possit adhiberi. En cecy seulement a loy, l'interest privé, de nous excuser de faillir à nostre promesse, si nous avons promis chose meschante, et inique de soy. Car le droit de la vertu doibt prevaloir le droit de nostre obligation. J'ay autrefois logé Epaminondas au premier rang des hommes excellens et ne m'en desdy pas. Jusques où montoit-il la consideration de son particulier devoir ? qui ne tua jamais homme qu'il eust vaincu qui pour ce bien inestimable, de rendre la liberté à son païs, faisoit conscience de tuer un Tyran, ou ses complices, sans les formes de la justice et qui jugeoit meschant homme, quelque bon Citoyen qu'il fust, celuy qui entre les ennemis, et en la bataille, n'espargnoit son amy et son hoste. Voyla une ame de riche composition. Il marioit aux plus rudes et violentes actions humaines, la bonté et l'humanité, voire la plus delicate, qui se treuve en l'escole de la Philosophie. Ce courage si gros, enflé, et obstiné contre la douleur, la mort, la pauvreté, estoit-ce nature, ou art, qui l'eust attendry, jusques au poinct d'une si extreme douceur, et debonnaireté de complexion ? Horrible de fer et de sang, il va fracassant et rompant une nation invincible contre tout autre, que contre luy seul et gauchit au milieu d'une telle meslee, au rencontre de son hoste et de son amy. Vrayement celuy la proprement commandoit bien à la guerre, qui luy faisoit souffrir le mors de la benignité, sur le point de sa plus forte chaleur ainsin enflammee qu'elle estoit, et toute escumeuse de fureur et de meurtre. C'est miracle, de pouvoir mesler à telles actions quelque image de justice mais il n'appartient qu'à la roideur d'Epaminondas, d'y pouvoir mesler la douceur et la facilité des moeurs les plus molles, et la pure innocence. Et où l'un dit aux Mammertins, que les statuts n'avoient point de mise envers les hommes armez l'autre, au Tribun du peuple, que le temps de la justice, et de la guerre, estoient deux le tiers, que le bruit des armes l'empeschoit d'entendre la voix des loix cettuy-cy n'estoit pas seulement empesché d'entendre celles de la civilité, et pure courtoisie. Avoit-il pas emprunté de ses ennemis, l'usage de sacrifier aux Muses, allant à la guerre, pour destremper par leur douceur et gayeté, cette furie et aspreté martiale ? Ne craignons point apres un si grand precepteur, d'estimer qu'il y a quelque chose illicite contre les ennemys mesmes que l'interest commun ne doibt pas tout requerir de tous, contre l'interest privé manente memoria etiam in dissidio publicorum foederum privati juris et nulla potentia vires Præstandi, ne quid peccet amicus, habet et que toutes choses ne sont pas loisibles à un homme de bien, pour le service de son Roy, ny de la cause generale et des loix. Non enim patria præstat omnibus officiis, Et ipsi conducit pios habere cives in parentes. C'est une instruction propre au temps Nous n'avons que faire de durcir nos courages par ces lames de fer, c'est assez que nos espaules le soyent c'est assez de tramper nos plumes en ancre, sans les tramper en sang. Si c'est grandeur de courage, et l'effect d'une vertu rare et singuliere, de mespriser l'amitié, les obligations privees, sa parolle, et la parenté, pour le bien commun, et obeïssance du Magistrat c'est assez vrayement pour nous en excuser, que c'est une grandeur, qui ne peut loger en la grandeur du courage d'Epaminondas. J'abomine les exhortemens enragez, de cette autre ame desreiglee, dum tela micant, non vos pietatis imago Ulla, nec adversa conspecti fronte parentes Commoveant, vultus gladio turbate verendos. Ostons aux meschants naturels, et sanguinaires, et traistres, ce pretexte de raison laissons là cette justice enorme, et hors de soy et nous tenons aux plus humaines imitations. Combien peut le temps et l'exemple ? En une rencontre de la guerre civile contre Cinna, un soldat de Pompeius, ayant tué sans y penser son frere, qui estoit au party contraire, se tua sur le champ soy-mesme, de honte et de regret Et quelques annees apres, en une autre guerre civile de ce mesme peuple, un soldat, pour avoir tué son frere, demanda recompense à ses capitaines. On argumente mal l'honneur et la beauté d'une action, par son utilité et conclud-on mal, d'estimer que chacun y soit obligé, et qu'elle soit honeste à chacun, si elle est utile. Omnia non pariter rerum sunt omnibus apta. Choisissons la plus necessaire et plus utile de l'humaine societé, ce sera le mariage Si est-ce que le conseil des saincts, trouve le contraire party plus honeste, et en exclut la plus venerable vacation des hommes comme nous assignons au haras, les bestes qui sont de moindre estime. Table des matières Chapitre précédentChapitre suivant CHAPITRE II Du repentir LES autres forment l'homme, je le recite et en represente un particulier, bien mal formé et lequel si j'avoy à façonner de nouveau, je ferois vrayement bien autre qu'il n'est mes-huy c'est fait. Or les traits de ma peinture, ne se fourvoyent point, quoy qu'ils se changent et diversifient. Le monde n'est qu'une branloire perenne Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d'Ægypte et du branle public, et du leur. La constance mesme n'est autre chose qu'un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object il va trouble et chancelant, d'une yvresse naturelle. Je le prens en ce poinct, comme il est, en l'instant que je m'amuse à luy. Je ne peinds pas l'estre, je peinds le passage non un passage d'aage en autre, ou comme dict le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l'heure. Je pourray tantost changer, non de fortune seulement, mais aussi d'intention C'est un contrerolle de divers et muables accidens, et d'imaginations irresoluÃs, et quand il y eschet, contraires soit que je sois autre moy-mesme, soit que je saisisse les subjects, par autres circonstances, et considerations. Tant y a que je me contredis bien à l'advanture, mais la verité, comme disoit Demades, je ne la contredy point. Si mon ame pouvoit prendre pied, je ne m'essaierois pas, je me resoudrois elle est tousjours en apprentissage, et en espreuve. Je propose une vie basse, et sans lustre C'est tout un, On attache aussi bien toute la philosophie morale, à une vie populaire et privee, qu'à une vie de plus riche estoffe Chaque homme porte la forme entiere, de l'humaine condition. Les autheurs se communiquent au peuple par quelque marque speciale et estrangere moy le premier, par mon estre universel comme, Michel de Montaigne non comme Grammairien ou PoÃte, ou Jurisconsulte. Si le monde se plaint dequoy je parle trop de moy, je me plains dequoy il ne pense seulement pas à soy. Mais est-ce raison, que si particulier en usage, je pretende me rendre public en cognoissance ? Est-il aussi raison, que je produise au monde, où la façon et l'art ont tant de credit et de commandement, des effects de nature et crus et simples, et d'une nature encore bien foiblette ? Est-ce pas faire une muraille sans pierre, ou chose semblable, que de bastir des livres sans science ? Les fantasies de la musique, sont conduits par art, les miennes par sort. Aumoins j'ay cecy selon la discipline, que jamais homme ne traicta subject, qu'il entendist ne cogneust mieux, que je fay celuy que j'ay entrepris et qu'en celuy là je suis le plus sçavant homme qui vive. Secondement, que jamais aucun ne penetra en sa matiere plus avant, ny en esplucha plus distinctement les membres et suittes et n'arriva plus exactement et plus plainement, à la fin qu'il s'estoit proposé à sa besongne. Pour la parfaire, je n'ay besoing d'y apporter que la fidelité celle-là y est, la plus sincere et pure qui se trouve. Je dy vray, non pas tout mon saoul mais autant que je l'ose dire Et l'ose un peu plus en vieillissant car il semble que la coustume concede à cet aage, plus de liberté de bavasser, et d'indiscretion à parler de soy. Il ne peut advenir icy, ce que je voy advenir souvent, que l'artizan et sa besongne se contrarient Un homme de si honneste conversation, a-il faict un si sot escrit ? Ou, des escrits si sçavans, sont-ils partis d'un homme de si foible conversation ? Qui a un entretien commun, et ses escrits rares c'est à dire, que sa capacité est en lieu d'où il l'emprunte, et non en luy. Un personnage sçavant n'est pas sçavant par tout Mais le suffisant est par tout suffisant, et à ignorer mesme. Icy nous allons conformément, et tout d'un train, mon livre et moy. Ailleurs, on peut recommander et accuser l'ouvrage, à part de l'ouvrier icy non qui touche l'un, touche l'autre. Celuy qui en jugera sans le congnoistre, se fera plus de tort qu'à moy celuy qui l'aura cogneu, m'a du tout satisfaict. Heureux outre mon merite, si j'ay seulement cette part à l'approbation publique, que je face sentir aux gens d'entendement, que j'estoy capable de faire mon profit de la science, si j'en eusse eu et que je meritoy que la memoire me secourust mieux. Excusons icy ce que je dy souvent, que je me repens rarement, et que ma conscience se contente de soy non comme de la conscience d'un Ange, ou d'un cheval, mais comme de la conscience d'un homme. Adjoustant tousjours ce refrein, non un refrein de ceremonie, mais de naifve et essentielle submission Que je parle enquerant et ignorant, me rapportant de la resolution, purement et simplement, aux creances communes et legitimes. Je n'enseigne point, je raconte. Il n'est vice veritablement vice, qui n'offence, et qu'un jugement entier n'accuse Car il a de la laideur et incommodité si apparente, qu'à l'advanture ceux-là ont raison, qui disent, qu'il est principalement produict par bestise et ignorance tant est-il mal-aisé d'imaginer qu'on le cognoisse sans le haïr. La malice hume la pluspart de son propre venin, et s'en empoisonne. Le vice laisse comme un ulcere en la chair, une repentance en l'ame, qui tousjours s'esgratigne, et s'ensanglante elle mesme. Car la raison efface les autres tristesses et douleurs, mais elle engendre celle de la repentance qui est plus griefve, d'autant qu'elle naist au dedans comme le froid et le chaud des fiévres est plus poignant, que celuy qui vient du dehors. Je tiens pour vices mais chacun selon sa mesure non seulement ceux que la raison et la nature condamnent, mais ceux aussi que l'opinion des hommes a forgé, voire fauce et erronee, si les loix et l'usage l'auctorise. Il n'est pareillement bonté, qui ne resjouysse une nature bien nee. Il y a certes je ne sçay quelle congratulation, de bien faire, qui nous resjouit en nous mesmes, et une fierté genereuse, qui accompagne la bonne conscience. Une ame courageusement vitieuse, se peut à l'adventure garnir de securité mais de cette complaisance et satisfaction, elle ne s'en peut fournir. Ce n'est pas un leger plaisir, de se sentir preservé de la contagion d'un siecle si gasté, et de dire en soy Qui me verroit jusques dans l'ame, encore ne me trouveroit-il coupable, ny de l'affliction et ruyne de personne ny de vengeance ou d'envie, ny d'offence publique des loix ny de nouvelleté et de trouble ny de faute à ma parole et quoy que la licence du temps permist et apprinst à chacun, si n'ay-je mis la main ny és biens, ny en la bourse d'homme François, et n'ay vescu que sur la mienne, non plus en guerre qu'en paix ny ne me suis servy du travail de personne, sans loyer. Ces tesmoignages de la conscience, plaisent, et nous est grand benefice que cette esjouyssance naturelle et le seul payement qui jamais ne nous manque. De fonder la recompence des actions vertueuses, sur l'approbation d'autruy, c'est prendre un trop incertain et trouble fondement, signamment en un siecle corrompu et ignorant, comme cettuy cy la bonne estime du peuple est injurieuse. A qui vous fiez vous, de veoir ce qui est louable ? Dieu me garde d'estre homme de bien, selon la description que je voy faire tous les jours par honneur, à chacun de soy. Quæ fuerant vitia, mores sunt. Tels de mes amis, ont par fois entreprins de me chapitrer et mercurializer à coeur ouvert, ou de leur propre mouvement, ou semons par moy, comme d'un office, qui à une ame bien faicte, non en utilité seulement, mais en douceur aussi, surpasse tous les offices de l'amitié. Je l'ay tousjours accueilli des bras de la courtoisie et recognoissance, les plus ouverts. Mais, à en parler à cette heure en conscience, j'ay souvent trouvé en leurs reproches et louanges, tant de fauce mesure, que je n'eusse guere failly, de faillir plustost, que de bien faire à leur mode. Nous autres principalement, qui vivons une vie privee, qui n'est en montre qu'à nous, devons avoir estably un patron au dedans, auquel toucher nos actions et selon iceluy nous caresser tantost, tantost nous chastier. J'ay mes loix et ma cour, pour juger de moy, et m'y adresse plus qu'ailleurs. Je restrains bien selon autruy mes actions, mais je ne les estends que selon moy. Il n'y a que vous qui scache si vous estes láche et cruel, ou loyal et devotieux les autres ne vous voyent point, ils vous devinent par conjectures incertaines ils voyent, non tant vostre naturel, que vostre art. Par ainsi, n
Jai cherché des informations, des conseils mais je n'ai pas trouvé grand chose Premier constat: - tous les blogs sur le thème EVS/AVS ont pour objet la précarité de l'emploi. C'est vrai tout le monde le sais, je ne vais donc pas aborder ce problème - certains parlent de la formation des EVS - aucun ne parle vraiment de la fonction . Alors j'ai décidé d'aborder
Cela signifie, dans l’ordre tristesse le matin, parce que si l’on voit travailler une araignée, cela sous-entend qu’aucune rosée ne la gêne ; et qui dit absence de rosée, dit pluie à venir. Préoccupation à midi, parce que si l’araignée tisse sa toile au milieu de la journée, cela implique que la pluie se prépare et qu’il faut donc se dépêcher ; et espoir le soir parce qu’une araignée qui se balade tranquillement au crépuscule est détendue et donc que le beau temps devrait persister. Si la fileuse se met au travail dès le matin, cela signifie qu'elle doit le faire sans défaillance pour subvenir à ses besoins de tous les jours ; si elle s'y met en milieu de journée, la nécessité est moindre et le soir, c'est que la situation est meilleure et qu'elle peut travailler pour son trousseau ou pour son plaisir. L'expression se décline également en disant pour la deuxième partie araignée du tantôt, cadeau » Référence nécessaire. Translation Find a translation for the araignée du matin, chagrin, araignée du midi, souci, araignée du soir, espoir phrase in other languages morning spider, sorrow, spider of the south, marigold, evening spider, hope Select another language - Select - 简体中文 Chinese - Simplified 繁體中文 Chinese - Traditional Español Spanish Esperanto Esperanto 日本語 Japanese Português Portuguese Deutsch German العربية Arabic Français French Русский Russian ಕನ್ನಡ Kannada 한국어 Korean עברית Hebrew Gaeilge Irish Українська Ukrainian اردو Urdu Magyar Hungarian मानक हिन्दी Hindi Indonesia Indonesian Italiano Italian தமிழ் Tamil Türkçe Turkish తెలుగు Telugu ภาษาไทย Thai Tiếng Việt Vietnamese Čeština Czech Polski Polish Bahasa Indonesia Indonesian Românește Romanian Nederlands Dutch Ελληνικά Greek Latinum Latin Svenska Swedish Dansk Danish Suomi Finnish فارسی Persian ייִדיש Yiddish հայերեն Armenian Norsk Norwegian English English Nearby phrases Some more phrases from our dictionary similar to araignée du matin, chagrin, araignée du midi, souci, araignée du soir, espoir Citation Use the citation below to add this araignée du matin, chagrin, araignée du midi, souci, araignée du soir, espoir definition to your bibliography We need you! Help us build the largest human-edited phrases collection on the web! Quiz Are you a phrases master? » It's best to look on the __________ side. A. right B. bright C. sunny D. just Browse
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Ce sujet contiendra les solutions du jeu Esprit Boom niveau 1383 Chagrine le matin mais redonne l’espoir le soir.. Pour rappel, le jeu Esprit Boom français propose dans chaque niveau une mot à mot est la solution d’une devinette. Trouver des mots bonus vous fera gagner des pièces. Si vous en avez trouvé alors n’hésitez pas à les partager avec le reste des joueurs en commentaire. Sans tarder, voici les réponses à ce niveau Vous pouvez aussi consulter le reste des niveaux sur ce sujet Solution Esprit Boom ARAIGNÉE La devinette Chagrine le matin mais redonne l’espoir le soir. étant résolue, je vous invite à trouver dans le prochain sujet la suite du jeu Je suis un oiseau qui croasse. Qui suis-je ? – Esprit Boom niveau 1384. N’hésitez donc pas à y jeter un coup d’œil si jamais vous aurez des soucis pour trouver les mots qui vous manqueraient. A bientôt Kassidi Amateur des jeux d'escape, d'énigmes et de quizz. J'ai créé ce site pour y mettre les solutions des jeux que j'ai essayés. This div height required for enabling the sticky sidebar
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chagrine le matin mais redonne l espoir le soir